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G. TARDE. — le type criminel

est plus pesante relativement au crâne chez les anthropoïdes que chez l’homme, chez les races inférieures que chez les races civilisées, chez l’homme que chez la femme et chez l’adulte que chez l’enfant. » Ces deux dernières remarques donnent à penser. En tout cas, la facilité d’élocution des femmes n’est pas douteuse. (Revue scientifique, 9 juil. 1881, p. 54).

— Pour en finir avec le signalement anatomique, un caractère presque aussi indéfinissable qu’important, et presque aussi important à lui seul que tous les autres, c’est le regard. Il est terne, froid, fixe chez l’assassin ; il est inquiet, oblique, errant, chez le voleur. Cette remarque mérite surtout d’être relevée parce qu’elle s’applique aux malfaiteurs de n’importe quelle nationalité ; et elle n’est pas la seule similitude de ce genre qui se produise, par une coïncidence singulière, entre des individus appartenant à des races différentes, et devenus, de la sorte, semblables entre eux, comme s’ils étaient parents. Lombroso signale ce fait à plusieurs reprises. « La fréquence des plis du front (seni frontali), dit-il, et du développement de l’arcade sourcilière est vraiment singulière, et c’est ce caractère peut-être qui, ajouté au front fuyant, explique la ressemblance curieuse des criminels italiens avec les criminels français et allemands. » Il invite ailleurs le lecteur (p. 265) à rapprocher plusieurs photographies qu’il lui désigne, et fait observer avec raison qu’elles se ressemblent entre elles étonnamment, quoiqu’empruntées à diverses races européennes. Ainsi le criminel se singulariserait non seulement en ce qu’il échapperait à son type national, mais encore en ce que ses anomalies à cet égard se ramèneraient à une règle, et son atypie elle-même serait typique. C’est étrange, et je ne sais jusqu’à quel point les théories darwiniennes sont propres à rendre compte de ces similitudes non produites, ce semble, par voie d’hérédité. Je ne demanderais pas mieux que d’y voir des phénomènes d’atavisme et de leur donner ainsi pour cause une hérédité remontant très haut. Mais je ne puis m’empêcher de songer à ces familles naturelles d’esprits littéraires que Sainte-Beuve, de son côté, s’est avisé de dessiner magistralement dans l’un de ses Lundis, groupes non moins harmonieux et quasifraternels et cependant formés d’écrivains non moins étrangers les uns aux autres par la race et le climat. Or, dira-t-on aussi que ces variétés délicates du verger spirituel, que ces fleurs doubles de l’imagination poétique surmenée et surcultivée sont des évocations du lointain passé, des réminiscences héréditaires de l’homme sauvage ? Je ne conteste pas l’hérédité pourtant, ni la sélection ni le progrès ; mais je me permets de soupçonner par-dessous tout cela,