Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
598
revue philosophique

l’anthropologie. Mais je ne sais s’il sera facile à cette science de nous fournir une justification simplement utilitaire, nullement esthétique, des différentes formes du nez[1]. Il est certain au moins que par son front et son nez rectilinéaires, par sa bouche étroite et gracieusement arquée, par sa mâchoire effacée, par son oreille petite et collée aux tempes, la belle tête classique forme un parfait contraste avec celle du criminel, dont la laideur est en somme le caractère le plus prononcé. Sur 275 photographies (réduites) de criminels jointes à l’Uomo delinquente et quelques dizaines d’autres portraits disséminés dans le corps de l’ouvrage, je n’ai pu découvrir qu’un joli visage ; encore est-il féminin ; le reste est repoussant en majorité, et les figures monstrueuses sont en nombre. Méfiez-vous des laids encore plus que des glabres ! [2] Il me semble donc qu’après avoir cherché à expliquer la silhouette criminelle, en la comparant à celle de l’homme primitif, toujours plus ou moins conjectural, on aurait pu l’opposer au type idéal de la beauté humaine, qui nous est dès longtemps bien mieux connu par les révélations de l’art ou de la nature, et compléter ou rectifier ainsi la première interprétation de ses caractères.

Hegel a bien défini cette tête idéale, comme celle où l’esprit domine, c’est-à-dire, pour préciser sa pensée à notre manière, celle où se marque l’épanouissement social, et non exclusivement individuel, de l’homme. Si la bouche et la mâchoire, par exemple, ne sont pas seulement propres à la morsure et à la mastication, mais encore au sourire et à la parole, elles sont belles ; et elles sont d’autant plus belles que les deux fonctions sociales de parler et de sourire l’emportent davantage en elles sur les deux fonctions individuelles de mordre et de mâcher. Or, une mâchoire lourde, par exemple, est très bonne pour mâcher, mais très gênante pour s’exprimer ; aussi les anthropologistes nous donnent-ils la règle suivante : « La mandibule

  1. L’importance du nez, comme caractère anthropologique, est très supérieure à celle d’autres caractères réputés à tort plus importants ou dont l’importance, ce semble, s’expliquerait bien mieux. Par exemple, le nez long est, à considérer les moyennes, exclusivement propre aux Blancs, et le nez épaté aux Nègres, tandis que la dolichocéphalie et la brachycéphalie, la grande et la petite capacité crânienne sont, même eu égard aux moyennes seulement, réparties presque au hasard, entre-croisées ou juxtaposées dans le sein d’une même race. (V. Quatrefages, citant Topinard.)
  2. L’embellissement physique de la race importerait donc à son assainissement moral. Il n’est pas impossible qu’une sélection à rebours, opérée en Europe par nos grandes guerres notamment, ait quelque peu contribué à diminuer la moralité publique ou à entraver ses progrès. Ce n’est pas seulement, en effet, le plus pur sang, c’est la plus pure honnêteté de la nation qui, grâce aux conseils de révision, compose ses armées et se dépense dans ses batailles.