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G. TARDE. — le type criminel

de lésions cérébrales plus ou moins profondes. » Est-on cependant déjà en mesure de déterminer les anomalies du cerveau qui caractérisent le criminel comme on a pu jusqu’à un certain point spécifier celles de son crâne ? Non. Seulement Lombroso se croit autorisé à conclure que la déviation fréquente du type normal rappelle ici non rarament « les formes propres aux animaux inférieurs ou les formes embryonnaires ». Si l’on essaie de concilier cette qualité inférieure du cerveau avec sa quantité considérable, on se trouvera encore une fois conduit a regarder le criminel comme la bassesse élevée à une haute puissance ; et, à ce titre, il me paraît réaliser, non pas le portrait du passé, mais plutôt l’idéal d’une civilisation qui, par hypothèse, serait matériellement progressive, intellectuellement et moralement rétrograde. — Disons aussi que, d’après Flecks, (cité en note par Lombroso) les anomalies des circonvolutions cérébrales, chez le criminel, sont de deux sortes, et que celles de la première catégorie ne se rattachent à aucune forme animale ou humaine, à aucun type normal, même inférieur.

N’omettons pas de relever des observations assez singulières le criminel (et aussi bien la criminelle) est beaucoup plus souvent brun que blond[1] ; il est très chevelu et très peu barbu. Méfiez-vous de l’imberbe, dit un proverbe italien. — Enfin, il n’a presque jamais le nez droit ; le voleur l’a retroussé, parait-il, et l’assassin, crochu…

Cette dernière remarque peut faire sourire ; mais, en la lisant, je me suis rappelé l’importance un peu bizarre, non sans profondeur pourtant, que le vieil Hegel, dans son Esthétique, attribue à la forme du nez, pour expliquer la beauté du profit grec. Entre le front, où se concentre l’expression spirituelle du visage humain, et la mâchoire où sa bestialité s’exprime, le nez lui paraît être l’organe intermédiaire qui contribue puissamment à faire pencher la balance en faveur de l’un ou de l’autre. Il tend, d’après lui, à rendre la bête ou l’esprit prédominants, suivant que, par une ligne droite à peine fléchie, il se rattache intimement à un front droit, uni et pur, dont la régularité pour ainsi dire se prolonge en lui, ou que, détaché du front déprimé et creusé de plis, par une ligne brisée, et lui-même camus ou même aquilin, il s’incorpore plutôt à la bouche et à la mâchoire, surtout si elles sont lourdes et proéminentes. Cette explication, je l’avoue, n’est pas des plus scientifiques et n’enrichira pas beaucoup

  1. Encore une différence, probablement, avec l’homme primitif, qui aurait été roux, d’après Quatrefages (l’Espèce humaine). En tout cas, il résulte des recherches de M. de Candolle et d’autres auteurs que la coloration brune va se propageant aux dépens de la teinte blonde, ce qui veut dire qu’au début la première a été exceptionnelle.