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G. TARDE. — le type criminel

leur nombre est plus faible ; en sorte que leur supériorité, quand elle se produit, aurait les caractères d’une anomalie. Quoi qu’il en soit, leur capacité moyenne est bien supérieure à celle des sauvages, auxquels notre auteur, en bon darwinien, se complaît à les assimiler. Il est vrai que, par leur conformation crânienne et cérébrale, ils présentent avec ceux-ci de vraies similitudes, comme nous le verrons plus loin. On dirait que la régression de la forme a été jusqu’à un certain point compensée en eux, comme chez certains grands végétaux de type inférieur, par le progrès, au moins relatif, de la matière. Ce que je ne m’explique pas bien, par exemple, c’est que la tête des assassins ait été trouvée plus forte que celle des voleurs. Ne faut-il pas autant et plus d’intelligence pour combiner un vol que pour préméditer un assassinat ? Cela peut tenir, nous dit-on, à ce que, comme on nous l’apprend, la brachycéphalie domine parmi les assassins, et la dolichocéphalie parmi les voleurs ; car la forme ronde de la tête est plus avantageuse que la forme longue au point de vue du volume. À ce sujet on observe que Gall avait eu peut-être une intuition juste en localisant aux tempes la bosse de la cruauté. Mais, encore ici, le doute est permis par la contradiction des données, et en outre, la brachycéphalie des assassins, fût-elle admise, serait-ce une raison de plus de les assimiler à nos premiers ancêtres ? Non, si l’on remarque avec M. de Quatrefages, notamment, « que ce sont les troglodytes brachycéphales de la Lesse dont les habitudes inoffensives sont attestées par l’absence de toute arme de guerre », tandis que « les hommes de Canstadt et de Cro-Magnon (dolichocéphales) se montrent à nous comme ayant déployé tous les instincts de populations chasseuses et guerrières » [1].

En revanche, il paraît certain que les malfaiteurs ont le front fuyant, étroit et plissé, les arcades sourcilières saillantes, les cavités oculaires très grandes, comme chez les oiseaux de proie, les mâchoires avancées et très fortes, les oreilles écartées et larges, en anse : ce sont là des traits bien nets de sauvagerie[2]. Ajoutons-y diverses anomalies qu’il serait trop long d’énumérer, et en particulier le défaut de symétrie crânienne ou faciale, prononcé et fréquent. 67 fois sur cent, cette irrégularité plus ou moins choquante a été observée par Roussel sur des criminels. On a donc plus raison qu’on ne croit quand on dit d’un homme vicieux qu’il est de travers. — La même

  1. Voir Hommes fossiles et hommes sauvages, p. 532.
  2. Bien nets ? Observons, par exemple, que le prognathisme ne caractérise exclusivement aucune race, et que, à l’opposé de la plupart des caractères réputés dignes d’infériorité, il est moins accusé chez l’enfant que chez l’homme.