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LE TYPE CRIMINEL CRIMINEL


Êtes-vous curieux de connaître à fond le criminel, non pas le criminel d’occasion que la société peut s’imputer en majeure partie, mais le criminel inné et incorrigible, dont la nature, presque seule, nous dit-on, est responsable ? Lisez la dernière édition de l’Uomo delinquente de Lombroso[1]. Combien il est regrettable qu’un ouvrage de cette force et de cette densité, qu’un tel amas d’expériences et d’observations aussi ingénieuses que persévérantes et où se résume le labeur non stérile de toute une vie, de toute une école novatrice n’ait pas encore tenté la plume d’un traducteur français ! Peut-être, à vrai dire, le sujet ne paraîtra-t-il pas tout d’abord bien intéressant. Cette anatomie illustrée, physique et morale, de meurtriers, de fripons, d’odieux satyres (stupratori) est si minutieuse ! Leurs conformations crâniennes et corporelles, leurs photographies, leurs écritures, leurs façons de sentir ou de ne pas sentir la douleur ou l’amour, le froid ou le chaud, leurs maladies, leurs vices, leurs embryons littéraires, tout ce qui les caractérise, en un mot : que nous importe tout cela ? — Pourtant, s’il est certain que la médecine a été le berceau de la physiologie et que l’état morbide éclaire l’état sain, il est au moins probable, aussi bien, que les recherches du criminaliste jettent des lumières sur les problèmes du sociologiste ; ou plutôt on ne doit pas s’étonner de voir, suivant les prétentions justifiées de la nuova scola, la criminologia (c’est le titre du dernier ouvrage de M. Garofalo)[2] rentrer comme un cas particulier dans la sociologie, et compléter à ce point de vue l’économie politique dont elle est en quelque sorte l’envers. On peut lui accorder ce point, même alors qu’on ne regarderait pas le criminel d’aujourd’hui, suivant la thèse ou l’une des thèses de Lombroso, comme le dernier exemplaire devenu rare du sauvage primitif, en sorte que ce qui est crime à présent, fait anti-social, aurait commencé par être le fait social habituel, la règle et non l’exception.

  1. L’Uomo delinquente, par Cesare Lombroso. 3a edizione, con 17 tavole e 8 figure (Roma-Torino-Firenze, Fratelli Bocca, 1884).
  2. Criminologia, par R. Garofalo (Roma-Torino-Firenze, Fratelli Bocca, 1885).