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L’autonomie est donc une nécessité interne substituée à la nécessité extérieure. Encore cette substitution n’est-elle qu’apparente. « La complication des facteurs autonomes ne produit pas plus une indétermination réelle que ne fait la combinaison mécanique d’un grand nombre de forces. » M. Masci estime que c’est là constater la réalité du fait, mais non l’expliquer. Quoi qu’il en dise, cette attitude, en présence d’un fait inexpliqué, encore, me parait très correcte. S’en tenir à cette déclaration que la responsabilité et l’irresponsabilité sont de simples apparences », ou plutôt « des différences de fait », ce n’est pas, à mon humble avis, « ou vouloir conserver une illusion, ou admettre facilement que l’imputabilité doit avoir une raison, mais renoncer à la trouver. » La différence des motifs utilitaires et leur hiérarchie, rationnelle au sens empirique du mot, suffisent à sauver l’imputabilité et la moralité.

Bernard Perez.

F. Masci : Pessimismo, prelezione al corso di filosofia morale, Padoue, 1884.

Dans cette étude de 80 pages in-8o très compactes, qui pouvait faire aisément un livre, M. Masci examine les origines, les caractères, les conséquences morales du pessimisme. Il prend position, pour l’attaquer, dans le camp spiritualiste, mais il le combat avec une grande liberté de jugement. Pour lui, comme pour M. Caro et M. James Sully, la philosophie du découragement est aussi vieille que l’homme, aussi vieille que l’optimisme, pourrait-on dire. L’aiguillon du doute excita, dès sa naissance, la pensée humaine ; au premier sentiment humain fit écho la douleur de la vie : les coutumes, les légendes, les littératures de tous les peuples l’attestent. Il y a d’ailleurs, selon l’auteur, une certaine unité de développement dans les manifestations collectives de douleur que nous offrent les religions et les philosophies : la conception sereine de la vie s’affirme toujours davantage avec la tendance spiritualiste. Cette conclusion ressort de l’examen comparatif que M. Masci fait de la religion égyptienne, de l’hébraïsme, du bouddhisme, du polythéisme grec et romain, de l’ascétisme chrétien. Le mélange pessimiste qui a si longtemps fait corps avec le catholicisme lui paraît une importation des religions orientales, qui n’était pas en germe dans l’hébraïsme monothéiste et messianique. La preuve en est, dit-il, que la Renaissance et le monde moderne ont fait divorce avec l’ascétisme du moyen âge, sans rompre avec la religion chrétienne. Leibnitz lui-même a cru rendre un très grand service à cette religion, en y rattachant sa fameuse doctrine du meilleur des mondes. L’ingénieuse explication de M. Masci me laisse un peu sceptique : je m’obstine à trouver un levain essentiel de pessimisme dans cette religion pour laquelle la vie est une vallée de larmes, dont elle ne garantit pas l’issue, car la foi imposée au sentiment n’est pas fonction de l’intelligence.