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ANALYSES.f. masci. Coscienza, etc.

l’admettre aussi dans les degrés inférieurs ? M. Guyau affirme le caractère aristocratique, et propre aux esprits philosophiques, de la sanction interne. « Or le positivisme lui-même en considère le défaut comme une pure et vraie psychopathie. » Mais est-il vrai que M. Guyau fasse de ce sentiment moral le privilège exclusif des esprits les plus cultivés, et qu’il en méconnaise l’existence, à des degrés divers, chez les êtres de plus en plus bas placés dans l’échelle de la perfection humaine ? C’est lui prêter une exagération ou une inconséquence que de le prétendre.

M. Masci, à son tour, me paraît glisser dans la contradiction en réfutant les objections de M. Guyau contre les fondements rationnels de la sanction. M. Guyau, dit-il, rejette successivement le mérite, l’ordre, la justice, en tant qu’ils n’ont rien à faire avec l’utilité. « Il ne voit pas que l’ordre moral dans sa concrétion est l’ordre des volontés bonnes et justes, et que la faute le trouble, en ce qu’elle suppose une volonté réfractaire, et ébranle dans les autres, par l’exemple, le sentiment de l’inviolabilité de cet ordre. La sanction, sous toutes ses formes, rétablit cet ordre, parce qu’elle en fait sentir la force victorieuse, non seulement au coupable, mais à tous ceux qui, témoins du délit, le sont ensuite de l’expiation. » On ne saurait mieux dire. Mais cet ordre troublé par l’exemple, rétabli par l’exemple, n’est-ce pas purement et simplement la morale des conséquences ? L’argument de l’ordre moral revient donc à la raison d’utilité. Je sais bien que l’auteur m’accusera de confondre, comme M. Guyau, l’élément rationnel avec l’élément sensible de la sanction morale. Mais il rend lui-même évident, une fois de plus, que le premier ne se peut comprendre sans le second. Est-ce donc à celui qui a la priorité d’origine de s’effacer devant celui qui en est manifestement dérivé et dépendant ?

M. Ardigò (et il y avait là un motif de rapprochement entre lui et M. Guyau) maintient la responsabilité en substituant à la liberté l’autonomie, mais sans abandonner la causalité déterministe. Épicure, dont M. Guyau a fait une appréciation si remarquable, fondait la liberté sur la fatalité universelle, tout en accordant à l’atome lui-même une sorte de spontanéité. Ainsi M. Ardigò met l’autonomie au fond des choses. La nature, selon lui, « nous présente une gradation d’autonomies, qui pour le minéral, la plante, l’animal, l’homme, sont respectivement l’inertie, la vie, la sensibilité, la pensée. Celle de la pensée est la plus parfaite des autonomies, et celle pour laquelle les mots autonomie et liberté peuvent être employés au sens propre, parce qu’avec la connaissance des choses elle nous donne les moyens de les dominer ; elle crée un ordre nouveau au-dessus de l’ordre naturel, mais non en contradiction avec lui… » La liberté, de ce point de vue, est l’indétermination de nombreux possibles. Plus grand est le nombre des forces autonomes, plus grand est celui des combinaisons possibles, et plus grands sont l’indéterminisme et la liberté. » Notre conception de la liberté ne va pas au delà ; elle ne dépasse pas le fait.