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ANALYSES.mosso. La Paura.

Mais dans l’économie vitale on doit toujours noter la prépondérance et la suprématie des vaisseaux sanguins ; c’est à ce but suprême, la nutrition des centres nerveux, que tout est subordonné (p. 295, 300).

Sur la question de l’expression de la face, l’auteur combat plus particulièrement Spencer qui, dans son chapitre sur le langage des émotions (Principes de psychologie, tome II, p. 566, trad. fr.), soutient que les muscles de la face étant relativement petits et attachés à des parties très mobiles, il en résulte que le visage est le meilleur indice de la quantité du sentiment. — Mosso objecte que nous avons dans l’oreille et ailleurs de très petits muscles qui ne prennent aucune part à l’expression, bien que, chez eux, la résistance à vaincre soit très faible. Le mouvement des muscles de la face, à la plus petite secousse reçue par le système nerveux, vient de ce qu’ils sont continuellement mis en action par les fonctions de la respiration, de la mastication, de la parole et des organes sensoriels situés dans la tête. L’auteur s’attache à démontrer que « c’est la quantité de l’excitation et non sa qualité qui pèse sur la balance de l’expression » (p. 197, 203).

Le chapitre X est consacré à quelques autres phénomènes caractéristiques de la peur : ses effets sur la vessie, les intestins, le production de la « chair de poule » au sujet de laquelle il discute encore une hypothèse de Darwin. Il rejette aussi l’opinion courante que la peur a une influence paralysante sur la vessie ; elle produit au contraire une contraction trop forte. Il a établi par des expériences personnelles qu’une émotion légère change immédiatement l’état des muscles dans cet organe (p. 214).

Mentionnons encore un chapitre sur la peur chez les enfants et une intéressante étude sur les maladies produites par la peur (xii). Le psychologue y trouvera de curieux exemples du fait généralement connu sous le nom d’influence de l’imagination.

Il est presque inutile d’ajouter, après cette courte analyse, que le sujet a été traité scientifiquement, en dehors de toute préoccupation métaphysique. M. Mosso — on ne saurait trop l’en louer — ne s’est pas proposé de plaider la cause du spiritualisme ou du matérialisme. « Quand nous avons étudié et interprété les faits le mieux possible, les doctrines qui vont plus loin ne servent à rien. Les écoles se confondent dans le néant de notre ignorance. L’anatomie et la physiologie du cerveau ont à peine fait entendre leurs premiers vagissements ; une obscurité profonde règne sur la nature des processus nerveux, sur les mouvements physiques et chimiques des parties cachées où siège la conscience. Ne parlons ni d’âme ni de matière. Soyons franchement ignorants, mais pleins de confiance dans l’avenir de la science et persévérants dans la recherche du vrai » (p. 106-107).

Th. Ribot.