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rougit de la même manière. Si on rapproche ce fait de cet autre, que le cerveau rougit après une émotion, on trouve pour la rougeur de la face chez l’homme une explication plus satisfaisante que celle des Darwin. « Pour maintenir la vie, il est nécessaire qu’il se produise une dilatation des vaisseaux sanguins dans tous les organes où il y a quelque trouble. Ce changement est indispensable pour réparer par un apport de sang plus abondant le trouble de la nutrition, pour activer les processus vitaux et réparer immédiatement les pertes. Ces phénomènes se produisent dans le cerveau pour les faits psychiques. Les émotions augmentent l’activité des processus chimiques du cerveau, la nutrition des cellules se modifie, il se fait une dépense plus rapide de force nerveuse ; c’est pour cela que les vaisseaux sanguins de la tête et du cerveau, en se dilatant, tendent à assurer aux fonctions des centres nerveux une plus grande quantité de sang. C’est dans les tissus, dans les propriétés de la substance vivante qui constituent notre machine que nous devons rechercher les raisons de beaucoup de phénomènes que Darwin faisait dépendre de causes externes, de la volonté ou du milieu » (p. 21-22).

La peur, surtout dans ses formes les plus graves, la terreur et l’épouvante, s’accompagne de tremblement. Nous voici en face d’une nouvelle difficulté pour la théorie de Darwin et de Spencer. S’il est vrai que, dans leur lutte pour la vie, les animaux ont toujours perfectionné leurs aptitudes propres à la défense ; si, dans la suite des générations, les dispositions de l’organisme nuisibles à la conservation de l’espèce ont disparu, comment n’ont-ils pas réussi à se défaire du tremblement ? Quand l’existence est menacée, dans les moments les plus décisifs, quand la fuite, l’attaque ou la défense sont impérieusement commandées, nous voyons l’animal paralysé par le tremblement, succomber sans pouvoir tirer parti de ses forces. Darwin (ouv. cité, ch.  xiii) se borne à dire que le problème est très obscur. Mantegazza (ch.  vii, p. 78, trad. franç.) prétend que le tremblement est extrêmement utile parce qu’il tend à produire de la chaleur et réchauffe le sang qui, sous l’influence de la frayeur, ne tarderait pas à se refroidir. — M. Mosso combat par de très bonnes raisons l’opinion de son compatriote. Il considère la « cataplexie » qui accompagne la peur comme une grave imperfection de l’organisme animal. Nous devons admettre que les phénomènes de la peur ne peuvent tous s’expliquer par la doctrine de la sélection. À leurs degrés extrêmes ce sont des phénomènes morbides qui démontrent une imperfection de l’organisme. On dirait que la nature pour faire le cerveau et la moelle n’ait pu combiner une substance qui fût très excitable et qui, sous l’influence de stimulus exceptionnellement forts, fût capable de ne jamais dépasser dans ses réactions les limites physiologiques les plus utiles à la conservation de l’animal. Dans l’étude des émotions, Spencer et Darwin n’ont pas assez cherché les causes des phénomènes dans les fonctions de l’organisme. Il y a une hiérarchie des parties qui composent notre machine, parce que toutes ne sont pas également importantes.