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ANALYSES.mosso. La Paura.

forcer la circulation centrale. Le cœur ne travaille pas pour lui-même, mais pour le cerveau et les muscles qui sont les instruments de la lutte, de l’attaque, de la défense et de la fuite. » La fréquence et la force du pouls dans les émotions dépend de l’excitabilité des centres nerveux. Aussi chez les enfants et les femmes, les palpitations du cœur sont plus fortes ; mais, même les hommes froids, sceptiques, égoïstes, impassibles, quand ils sont affaiblis par la maladie, s’émeuvent profondément et trahissent, comme les enfants, l’état de leur âme (p. 142).

Jusqu’ici nous n’avons pas guère parlé de l’expression de la peur. C’est cependant l’un des points les plus intéressante de l’ouvrage. Grand admirateur de Darwin, de Spencer et de leur théorie générale sur l’expression des émotions, notre auteur l’a soumise cependant à une critique approfondie et se sépare d’eux sur quelques points. Il leur reproche de n’être pas assez physiologistes (p. 300) ni assez mécanistes dans leurs essais d’explication (p. 12). Les dissentiments se rapportent principalement au phénomène de la rougeur, à celui du tremblement qui accompagne la peur et surtout l’épouvante, aux mouvements expressifs de la face.

On sait comment Darwin explique la rougeur subite chez les personnes timides. « À toutes les époques, hommes et femmes ont attaché, surtout pendant la jeunesse, une grande importance à l’aspect extérieur de leurs personnes ; ils ont porté également une attention toute spéciale sur l’apparence de leurs semblables. Le visage a été le principal objet de cet examen… Or, toutes les fois que nous soupçonnons que l’on critique notre personne, notre attention se porte fortement sur nous-mêmes et surtout sur notre visage. Cela doit avoir très probablement pour effet de mettre en jeu la portion du sensorium qui reçoit les nerfs sensitifs de la face et ce dernier réagit sur les capillaires faciaux par l’intermédiaire du système vaso-moteur. » Par la répétition et l’hérédité, il est arrivé qu’il nous suffit maintenant d’appréhender la critique pour que nos capillaires se relâchent, sans que nous ayons d’ailleurs conscience d’une préoccupation quelconque relative à notre visage[1]. — Pour M. Mosso, cette explication fait une part beaucoup trop large à l’influence de la volonté ; il croit qu’elle n’est plus soutenable et que la sienne est plus conforme à la théorie de l’évolution, « plus darwinienne ». Si l’on prend des lapins, animaux d’une timidité proverbiale, qu’on les place de manière à les observer sans qu’ils s’en doutent, on constate qu’un cri, un son, un brusque rayon de lumière, un nuage qui passe, le vol d’un oiseau lointain, suffisent pour faire pâlir rapidement les oreilles qui aussitôt deviennent d’un rouge plus intense. La circulation de l’oreille est l’image de l’état psychique de l’animal. Ces changements ne se produisent pas seulement dans l’oreille par l’effet d’un « cœur accessoire » comme le supposait Schiff ; la face tout entière du lapin est sensible aux plus petites impressions ; elle pâlit et

  1. Darwin : L’expression des émotions, ch.  XIII.