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ANALYSES.rabier. Leçons de philosophie.

quoi M. Rabier dit-il plus loin : « En reconnaissant des substances dans les objets externes, tels que nous nous les représentons, nous ne faisons que nous rendre compte d’une œuvre qui nous est propre, et retrouver dans une création de notre pensée, les lois et pour ainsi dire l’image de notre propre pensée (p. 289). »

La véritable origine des catégories, c’est l’expérience, mais l’expérience interne. C’est ce qu’ont établi, au sujet de la causalité, les célébres analyses de D. Hume et de Maine de Biran. M. Rabier a éclairci un point important de la théorie de Hume. On a mal compris ce philosophe quand on l’a représenté comme niant l’idée de cause en ce qu’elle a de propre, et la réduisant à l’idée de succession constante, réductible elle-même à l’association des idées. Personne au contraire n’a, mieux que Hume, montré que cette idée est toute différente de celle de succession constante, car elle implique celle de connexion nécessaire, et cette dernière, si, à la vérité, elle n’est pas donnée par les objets extérieurs, a pour origine une impression ou une détermination particulière produite dans le sujet par la répétition constante des mêmes successions de faits. L’habitude, en d’autres termes, engendre en nous une détermination sui generis, celle qui se produit quand une idée en appelle une autre, non seulement à titre de compagne ordinaire, mais par une véritable efficacité, par une énergie causale. En un mot, « entre la théorie de Hume et celle de Maine de Biran, il n’y a d’autre différence essentielle que celle-ci : pour Hume, le cas privilégié où l’on prend sur le fait la causalité, c’est l’association habituelle ; pour Biran, c’est l’effort (p. 294, note.). » La remarque nous paraît juste, et elle est très neuve. Peut-être cependant M. Rabier exagère-t-il quand il ne voit entre Hume et Maine de Biran d’autre différence essentielle que celle qu’il indique. Il y en a encore une autre, de plus grave conséquence. Quand Maine de Biran découvre la causalité dans l’effort, il croit la saisir dans le monde réel, il sort du sujet, et se flatte d’atteindre l’objet : l’effort est pour lui le moyen par lequel l’esprit pénètre en quelque sorte dans le monde, et s’y manifeste comme cause. Pour Hume, c’est toute le contraire. Si c’est exclusivement dans le sujet que se découvre l’impression de causalité, elle n’a aucun rapport avec la causalité extérieure ; elle est une de ces impressions de réflexion, comme il les appelle, analogue à nos désirs, à nos passions, et que nul ne s’aviserait de transporter dans les choses. En un mot, les deux philosophes se rencontrent bien, lorsque ils découvrent dans le sujet l’origine de l’idée de cause. Mais Maine de Biran prend son point de départ dans le sujet pour en sortir aussitôt ; Hume au contraire y rentre, après avoir rompu toute communication avec le dehors, et s’y renferme. En fin de compte, les deux philosophes se tournent le dos.

Revenons à la théorie de M. Rabier, qui est celle de Maine de Biran améliorée, et signalons une fâcheuse équivoque. Ce que M. Rabier appelle (p. 393) « expérience de notre être propre, et de ses manières d’être essentielles » est précisément ce que d’autres appellent