Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/572

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
568
revue philosophique

résistance, ni celle de mouvement, ne trouvent place dans cette liste : elles se ramènent aux précédentes. Envisagées au point de vue de leur valeur objective, les sensations ne sont que des états de conscience : l’auteur réfute avec une grande force la théorie du perceptionnisme, et celle de l’inférence ; il se prononce avec M. Taine, pour la théorie de l’illusion : le monde est construit par l’esprit ; la perception est une hallucination vraie.

Arrivé à la question des catégories, M. Rabier croit inutile d’en dresser la liste, il se borne à en rechercher l’origine, et repousse à la fois la thèse de l’empirisme et celle de l’innéité. Il critique l’empirisme de Mill et de Spencer parce qu’il ne lui paraît pas fournir une explication complète et suffisante, mais comme on le verra, il est disposé à faire à l’expérience une très large part ; il donnera à sa propre doctrine le nom d’empirisme, en y ajoutant, il est vrai, un correctif. Il invoque contre l’innéité, qu’il attribue à Kant, des arguments qui nous paraissent appeler quelques réserves.

Kant est accusé de ne pouvoir rendre compte ni du mode d’existence attribué aux catégories, ni de leur application aux objets. Il nous semble cependant que la théorie de Kant n’est pas tout à fait celle que lui prête M. Rabier. L’originalité de Kant a été, si nous ne nous trompons, d’écarter à la fois la théorie empirique et celle des idées innées, pour choisir, comme le fait à son tour M. Rabier, une position intermédiaire entre les deux extrêmes. Il n’a pas à expliquer le mode d’existence des catégories dans l’esprit avant l’expérience, par la raison fort simple qu’elles ne sont pas dans l’esprit avant l’expérience : ce sont des formes vides, dont l’esprit ne peut avoir aucune connaissance tant que l’expérience ne leur a pas donné un contenu. « Aucune connaissance, dit-il au début de la Critique de la raison pure, ne précède en nous, sans le temps, l’expérience, et toutes commencent avec elle. » Ce n’est que par abstraction et après coup qu’on peut séparer les facteurs essentiels de la connaissance : on s’aperçoit alors que l’un est a priori, l’autre a posteriori ; mais a priori, n’est pas tout-à-fait synonyme d’inné. En un mot, les catégories sont les lois de la pensée, qui se révèlent à l’esprit dans l’acte même de la pensée. Demander ce qu’elles sont avant leur première application, c’est faire une question indiscrète. M. Rabier nous définira-t-il le mode d’existence de la pesanteur avant la première chute d’un corps ? La question de l’application des catégories aux objets est résolue par la même, ou plutôt ne se pose pas. Peut-être la théorie de Kant sur ce point présente-t-elle des difficultés, mais ces difficultés lui sont communes avec celle de M. Rabier. L’application du principe de causalité, tel qu’il l’entend, est-elle toujours infaillible, toujours donnée avec les choses mêmes ? L’autre difficulté signalée : l’esprit crée-t-il de toutes pièces les relations affirmées entre les objets, provient toujours du même malentendu. Il ne les crée pas, puisque une matière, donnée par l’expérience, lui est toujours nécessaire. Et si cette conception est si extraordinaire, pour-