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qui n’ont pas encore subi l’épreuve de la critique. L’enseignement ainsi compris est de l’enseignement supérieur, et il y aurait peut-être quelque inconvénient à transformer les chaires de nos lycées en chaires de faculté. Mais ce n’est pas sur cet inconvénient, peu grave après tout, que nous voulons nous lamenter. C’est à l’égard de M. Rabier lui-même que nous exprimons des regrets. C’est vraiment un fâcheux excès de modestie que d’avoir été égarer dans un livre, malgré tout élémentaire, tant d’idées neuves, tant d’aperçus ingénieux qui méritaient bien l’honneur d’un article spécial ou d’un livre. Combien de gros volumes ne voyons-nous point paraître qui ne renferment pas la substance d’un des chapitres de ce traité ! Il faut regretter d’autant plus le parti qu’a pris M. Rabier, que les exigences de sa méthode l’obligent à une multitude de divisions et de subdivisions, excellentes peut-être pour un ouvrage d’enseignement, mais un peu fatigantes pour le lecteur qui veut suivre le développement d’une pensée personnelle. Surtout, elles le condamnent à passer trop rapidement sur bien des points où il aurait fallu insister. C’est trop pour un livre élémentaire : c’est trop peu pour une œuvre originale. Quel livre on eût été en droit d’attendre d’un tel esprit, si au lieu de disperser son attention sur tant de sujets différents, il avait pu limiter son champ d’études, concentrer ses efforts, et, s’attachant à quelques questions bien circonscrites, les étudier avec cette précision et cette vigueur de dialectique dont il vient de nous donner tant de preuves !

Il faut convenir après cela que ce qui est un inconvénient pour M. Rabier est un avantage pour le lecteur. Comme M. Rabier a embrassé toutes les questions, et les a étudiées avec une conscience admirable, son livre est comme un résumé de toute la philosophie contemporaine. L’auteur se promène à travers les systèmes avec une grande aisance et une parfaite liberté d’esprit : il choisit dans chaque doctrine ce qu’elle renferme de plus excellent ; il prend son bien partout où il le trouve. À Stuart Mill, à M. Bain, à M. Spencer, à M. Taine, à M. Ribot, il emprunte nombre d’aperçus ingénieux et d’anar lyses délicates, parfois même des théories entières, celle par exemple de M. Taine sur la perception extérieure, définie une hallucination vraie. D’autre part, Hume, Kant, Schopenhauer, M. Secrétan, M. Renouvier, M. Ravaisson, M. Janet, M. Lachelier, sont fréquemment mis à contribution. En même temps, M. Rabier s’informe auprès des physiologistes, des mathématiciens, des physiciens, et enregistre avec soin soit les résultats définitifs qu’ils ont obtenus, soit de simples opinions qui, à défaut de certitude, ont pour elles l’autorité d’un grand nom. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une simple compilation, d’une juxtaposition de doctrines : la critique et la dialectique tiennent une grande place dans ce nouveau traité de psychologie. Et soit qu’il réfute les doctrines d’autrui, soit qu’il les complète, soit même qu’il se les approprie, il sait toujours marquer de son empreinte tout ce qu’il touche. On retrouve partout le même amour de la vérité, la même largeur de vues,