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notes et discussions

tion de certains éléments nerveux » comme impliquant un acte de perception et le mot « produit » comme impliquant une relation de cause à effet. Pour lui, le phénomène cité se ramène à ceci que l’abolition de la sensibilité est précédée d’une possibilité de certaines sensations pour un observateur réel ou supposé, lesquelles sensations sont désignées par les mots « abolition de certains éléments nerveux. » La position n’est pas absolument intenable, l’immatérialisme ne niant rien de ce que l’expérience affirme. Seulement, l’interprétation qu’il en donne paraît assez improbable, elle s’oppose à des inductions qui semblent bien fondées.

Je suis allé peut-être un peu loin en disant que le monde, en tant que possibilité de sensations, n’existe pas s’il n’est perçu. Cependant c’est là la façon la plus logique de concevoir l’immatérialisme. Il faudrait discuter le sens du mot possibilité. En tout cas, si la matière existe, elle doit exister autrement en elle-même, que comme simple possibilité. Le mot « possibilité » désignerait alors un fait réel qui constitue une des conditions d’un autre fait (la matière perçue) : on pourrait dire dans le même sens que la poudre est une possibilité d’explosion, cela n’empêche pas la poudre d’avoir une existence indépendante de celle de l’étincelle qui l’enflamme. De même la matière existerait indépendamment de l’individu qui la perçoit, la rencontre des deux produirait la matière perçue telle que nous la connaissons. Mais ici nous ne sommes plus dans la théorie de l’immatérialisme, nous sommes dans la théorie de la perception symbole qui est bien différente et même réaliste en un sens. On a supposé que chaque phénomène matériel correspondait à un phénomène de conscience plus ou moins vague. Alors la matière serait par elle-même esprit, et l’esprit lui-même serait, pour l’esprit qui le connaîtrait indirectement une possibilité de sensation. Mais nous ne sortons pas ainsi des doctrines qui donnent à la matière une réalité propre, non pas en tant que matière telle que nos sens la montrent, mais en tant qu’ayant une existence presque indépendante, connue ou inconnue. Si la matière est seulement une possibilité, si elle n’a pas d’autre existence que celle d’une possibilité, il est bien difficile d’échapper à cette conclusion que n’être qu’une possibilité, c’est peut-être devoir exister un jour, mais c’est ne pas exister actuellement.

Fr. Paulhan.

La difficulté proposée par Hylas (dans la Revue de mars 1885, p. 351) me paraît ne comporter qu’une seule solution. On demande, en d’autres termes, si le langage idéaliste est un idiome universel où tout peut se traduire sans effort mortel, sans mutilation ni contradiction. Je réponds : Oui, mais à une condition qu’il faut préciser, et qui, nous allons le voir, nécessitée par ce langage, finit par le rendre inutile.