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aux déviations morales et entravent pour lui le processus de l’adaptation morale, dans la période de la seconde enfance. Cela étant, les lacunes, les vices du premier développement névro-psychique constituent nécessairement la source des déviations morales dans les âges ultérieurs. C’est dans ces circonstances que s’imposent peut-être avec le plus d’évidence l’impérieuse nécessité de la connexion de l’hygiène et de l’éducation. Pour ce qui est de la première enfance, on peut dire que l’hygiène et l’éducation coïncident complètement et constituent un même élément éducatif. Mais il existe encore un autre élément d’une grande importance, pour ce qui concerne la première enfance. C’est l’hérédité névro-psychique, et Rousseau a eu raison de dire que l’éducation de l’enfant doit commencer avant sa naissance. Mais notre travail ne comporte pas l’exposition de ce problème prophylactique, et se borne exclusivement à l’âge de la première enfance que nous tenons pour le plus important au point de vue de l’éducation.

Si l’on admet la justesse de ce postulat, il reste encore la question du milieu pour la première enfance. Nous avons fixé ce milieu dans la famille et spécialement dans la mère ou dans la femme, comme l’être, doué par la nature des talents éducateurs les plus éminents, comparativement à l’homme. Mais quand on se pose la question de savoir, si la femme de nos jours est suffisamment préparée par l’éducation à l’accomplissement de son rôle important, celui d’asseoir les pierres angulaires du caractère de l’homme futur, on est forcé de reconnaître qu’il est impossible d’y répondre affirmativement. L’éducation contemporaine, littéraire et étroitement esthétique, de la plupart des femmes de la classe dite intelligente — est loin d’être propre à en faire des éducatrices sérieuses. Il est indispensable, pour cette noble tâche, d’avoir reçu une éducation plus étendue, plus scientifique, et appropriée aux problèmes du développement physique et moral de l’enfance. L’incapacité, où se trouvent de nombreux parents, de donner à leurs enfants une éducation rationnelle est un fait incontestable, et c’est pour cette raison qu’il faut préalablement se donner la peine de former, d’une manière convenable, les futures mères. « L’éducation de l’humanité tout entière est dans l’éducation des femmes, » a dit notre éminent Pirogoff[1]. Mais, tant que les femmes resteront des dilettantes dans le domaine de la pensée, les enfants continueront à passer dans la seconde période de l’enfance avec des défauts de caractère déjà enracinés.

Dr Sikorski.

  1. Questions de la vie, Morskoi Zbornik (1856).