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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

l’éducation de la famille. Rien, dans l’âge tendre, ne peut remplacer l’influence éducatrice de la famille. L’importance de la famille, en matière d’éducation, est dans le fait qu’elle forme l’individualité : les jardins, les crèches, les écoles procurent à l’enfant un développement moyen, une âme infantile moyenne, officielle, mais ils ne sauraient former l’individualité. Cependant, d’après l’expression si juste de J. St. Mill, le progrès de l’humanité consiste dans le développement de l’individualité plus l’individu se développe librement et sans entraves, plus il est capable de jeter de nouveaux principes dans le courant de la vie universelle. Le véritable développement d’individus n’est réalisable qu’au sein de la famille. Cette maxime a une base biologique. Les enfants offrent en eux-mêmes la reproduction névro-psychique de parents et d’ancêtres dans le sens physiologique de ce mot, et ils portent dans tout leur être les empreintes des propriétés génériques de la famille. Les propriétés particulières et distinctives de l’enfant, les nuances de son esprit et de ses talents, en d’autres termes son individualité, — trouvent leur terrain naturel dans sa propre famille, où il est mieux apprécié, et par cela même, plus convenablement et plus régulièrement cultivé. Les parents, plus que tous autres, sont capables de comprendre l’individualité de leurs enfants, parce qu’elle dérive d’eux et qu’elle est le reflet de leurs propres qualités. Les parents prolongent leur existence dans leurs enfants. Ce n’est point une métaphore, c’est la réalité. Une preuve négative de cette vérité est dans ce fait, que, pour les enfants dont les parents sont atteints d’affections nerveuses ou névro-psychiques, la famille est le milieu éducatif le plus pernicieux ; précisément parce que les traits anormaux innés des enfants y trouvent un terrain et des conditions propices à leur développement ultérieur. Esquirol, qui a compris toute la portée de ce fait, conseille d’éloigner les enfants d’un pareil milieu, de les placer dans les conditions différentes de celles où se trouvent leurs parents. « Ce que je dis, ajoute-t-il, pour l’éducation physique, je le dis aussi pour l’éducation morale et intellectuelle[1].

Le présent travail, dont les lignes suivantes forment la conclusion, est un essai de poser certaines bases pour l’hygiène psychique de la première enfance. Il tend, en outre, à démontrer que cet âge est par excellence la période de l’éducation de l’homme. C’est à cet âge en effet qu’apparaissent les germes de la corruption du caractère, les débuts de la mutinerie, de l’irritabilité, des caprices et d’autres anomalies, qui prédisposent physiologiquement l’enfant.

  1. Esquirol, Malad. ment., t.  I, Paris, 1838, p. 66-67.