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mencer trop tôt le développement intellectuel, plusieurs parents laissent à leurs enfants une trop grande liberté sous le rapport de leurs goûts et de leurs mauvais penchants, et, ce qui pis est, commencent beaucoup trop tard le développement et l’enseignement des enfants. Cela est absolument nuisible et peut voir pour conséquence l’abrutissement de l’intelligence. M. Morel[1] expose les résultats funestes d’une pareille éducation Cette plasticité et cette élasticité de l’organisation névro-psychique, dont nous avons parlé plus haut, présuppose et rend indispensable la culture continue et le perfectionnement de l’esprit, par la voie d’exercices et de travaux appropriés. On peut éclaircir ce point par un exemple. Cette faculté extraordinaire d’apprendre des langues étrangères que l’enfant montre à un certain âge, s’affaiblit comme on le sait, avec le temps.

Ce fait semblerait prouver que c’est à l’âge de deux à quatre ou cinq ans, l’époque de l’acquisition du langage, que l’enfant est le plus apte à apprendre les langues étrangères. Ce fait a des analogues dans d’autres mouvements psychomoteurs. Aussi est-il très probable que l’évolution intellectuelle en général obéit aux mêmes lois. Le retard, en matière de développement intellectuel, menace positivement l’enfant de la perspective d’un certain abrutissement. Le développement opportun des facultés intellectuelles constitue un problème important. Il y a deux siècles que Locke a résolu cette question et avec sa perspicacité habituelle, il a exprimé sa pensée par cet excellent aphorisme : « La science est aussi indispensable à l’enfant que la lumière à ses yeux ». Non seulement il faut répondre aux questions des enfants, dit ce médecin philosophe, mais il faut en outre exciter leur curiosité[2].

En parlant de l’abandon des enfants, sous le rapport de l’éducation, nous ne pouvons omettre de mentionner tout d’abord ceux qui, par leur situation d’orphelins, par dureté de cœur de leurs parents, ou par d’autres causes, sont privés de l’heureuse influence de la famille à l’époque la plus tendre de leur vie.

À l’exception d’un petit nombre d’enfants que la nature a richement doués, tous les autres ont besoin de concours pour leur développement intellectuel et moral. Ce concours peut être fourni par la famille bien organisée, qui forme le milieu éducateur le plus naturel. Toutes les autres institutions, crèches, asiles, jardins d’enfants, écoles, etc., etc. ne sont que les surrogats de la famille, et leur utilité in loco parentis se mesure par le degré, où ils s’approchent de

  1. Morel, Malad. ment., 1860, p. 122.
  2. Locke, loc. cit., p. 187.