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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

Dans l’éducation rigide ou sévère, la volonté et les sentiments de l’enfant sont opprimés. Si un enfant très intelligent est la victime d’une éducation pareille, le tort peut se borner au fait qu’il deviendra rigide, cruel lui-même, ce qui apparaît dans ce cas comme une sorte de préservation, de conservation de soi-même. L’éducation rigide agit d’une manière dépressive sur tous les enfants plus faibles sous le rapport intellectuel, et généralement sur tous ceux en bas-âge, en ralentissant le développement psychique ; elle peut aussi provoquer le développement démesuré du sentiment de la peur. Le danger sera plus ou moins grand, selon que ce sentiment sera plus ou moins développé. On a craint ce danger dans les temps les plus reculés. Un médecin renommé de l’antiquité, Athénée d’Atalée, veut que les enfants d’un certain âge soient entre les mains d’éducateurs doux et humains ; et il explique comment une éducation rigide rend le caractère des enfants servile et craintif[1]. Un caractère servile indique une volonté faible, et le caractère craintif, un développement démesuré du sentiment en général. Les psychiatres de nos jours reconnaissent le tort immense d’une pareille éducation, qui influe sur la vie entière[2].

L’éducation négligée prive les enfants d’influences pédagogiques et les expose aux périls du développement unilatéral. Pour les enfants doués d’une vigoureuse organisation psychique, une pareille éducation peut ne pas être suivie de conséquences pernicieuses. Mais les enfants de facultés moyennes, abandonnés à eux-mêmes, se développent plus ou moins irrégulièrement et ils fournissent à l’école un contingent considérable de sujets difficiles à élever.

On peut observer de nos jours une grave faute d’éducation, qui a les mêmes conséquences que l’éducation négligée. C’est celle qui consiste dans l’abandon des enfants entre les mains des bonnes, et dans l’abstention relative des parents, quant à l’éducation des enfants de trois à cinq ans. En comparant nos bonnes aux esclaves, qui élevaient les enfants des anciens Grecs, nous acquérons la conviction que le grand peuple de l’antiquité exigeait de ses pédagogues un fond moral et intellectuel beaucoup plus élevé que ce que nous exigeons de nos bonnes. Le choix de la nourrice et du pédagogue était alors une affaire beaucoup plus sérieuse que de nos jours.

Il faut rapporter à l’éducation négligée cette façon d’agir passive de certains parents, laquelle provient de la crainte déplacée des résultats nuisibles du développement intellectuel. Se basant sur des considérations hygiéniques exagérées, au sujet du danger de com-

  1. Oribase, loc. cit., t.  III, p. 162.
  2. Esquirol, Maladies mentales, 1838, p. 56.