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thèse que la faiblesse générale, soit innée, soit produite par des efforts démesurés, dépend peut-être des différences microscopiques dans la grandeur relative des éléments nerveux. Quoi qu’il en soit, le fait de la désharmonie entre la croissance du corps et le développement névro-psychique, ou du moins, entre l’âge et le développement psychique existe sans aucun doute. Cette circonstance est toujours accompagnée par les déviations psychiques, qui sont absolument dangereuses pour l’âge infantile. La déviation la plus nuisible consiste dans le développement prématuré ou trop rapide des facultés intellectuelles, qui sont alors en disproportion avec la faible croissance du corps. Il m’est arrivé d’observer de partiels désaccords chez des enfants de tous les âges. Ils amènent avec eux la faiblesse, l’anémie et ils gâtent le caractère, en le rendant irritable.

Les premiers-nés de parents intelligents sont ordinairement l’objet de soins attentifs, ce qui naturellement est très utile à l’enfant, mais risque d’amener un développement trop précipité. C’est ce que produit nécessairement l’influence constante des adultes, qui, poussés par l’affection et l’intérêt qu’excite en eux un enfant bien doué, ne l’abandonnent jamais à lui-même, et contribuent, par leur conversation surtout, à éveiller en lui une foule d’idées nouvelles qui, sans cela, n’auraient pas surgi de si bonne heure. Dans ces conditions l’attention et le travail intellectuel de l’enfant sont excités outre la mesure. À l’intelligence supérieure de l’enfant répondent des actions supérieures aussi, c’est-à-dire qu’il accomplit, pour parler le langage physiologique, un travail plus grand et plus compliqué. Plus tard, ces conditions rendent l’enfant extraordinairement intelligent, impressionnable et développent en même temps l’irritabilité de son caractère.

Le danger de la prépondérance du développement intellectuel aux dépens de la santé menace surtout les enfants d’une ville comme de St-Pétersbourg. Par suite des conditions climatologiques et de la latitude géographique, l’hiver de Pétersbourg dure trop longtemps, et la plupart de nos enfants passent en chambre de sept à neuf mois par année, et souvent sans interruption. Cette vie de réclusion, l’étroitesse de logements, un horizon borné, l’absence d’air pur, tout cela dispose peu l’enfant au mouvement et l’oblige à s’adonner aux jeux dans lesquels prédomine l’élément intellectuel, aux jeux sédentaires plus qu’à ceux qui exigent du mouvement. On voit très souvent ces enfants de la capitale boréale, en vêtements propres et non chiffonnés, garder la même place, occupés à jouer aux poupées ou aux autres jeux enfantins qui ne demandent pas de mouvements énergiques. Par leur costume et leur tenue, ils ressemblent bien plus aux petits