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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

parlé de fondre les épées en instruments aratoires. C’est sans doute un problème idéal, mais ce sont surtout ces sortes de problèmes que doit poursuivre l’éducation.

Le développement et l’exercice de l’attention constituent le côté le plus important de la culture de la volonté. L’état d’attention présuppose un cas particulier de la reproduction des idées, ou en général des actes psychiques d’autrefois. Expliquons cette pensée par un exemple. En prêtant l’attention à un certain bruit, il surgit dans notre mémoire le souvenir des sons que nous avons ouï auparavant. Nous reconnaissons le son donné comme tel, cela veut dire que nous le distinguons de plusieurs autres, qui sont reproduits par l’association. Cette reproduction préparatoire, qui constitue l’essence de l’attention, facilite non seulement la perception des impressions extérieures effectives, mais elle accélère aussi le temps de réaction psychophysique, soit la rapidité des processus psychiques, comme le démontrent les observations psychométriques. L’état de l’attention est de cette manière intimement lié aux reproductions multiformes, et il présuppose un raisonnement discipliné. Cela étant posé, revenons aux faits, qui sont observés chez l’enfant. Il est très intéressant de noter que chez les enfants l’exercice de l’attention se fait à l’aide des jeux. On remarque cet exercice comme élément le plus saillant dans toutes les opérations intellectuelles de l’enfant, dans toutes ses occupations et ses divertissements. Il apparaît comme un travail intellectuel auxiliaire, qui complique et modifie le caractère des jeux. Ainsi l’un des passe-temps favoris de l’enfant, c’est la répétition multipliée de la même action (action de frapper, d’ouvrir et de fermer, etc.). Preyer raconte que son enfant soulevait soixante-dix-neuf fois de suite le couvercle d’une cruche, sans se reposer un seul instant. Les enfants appliquent à de pareilles occupations une tension extrême de l’attention et une observation évidente. L’enfant de Preyer avait l’air de se demander dans le cas cité : comment se produisait le son[1].

Dans le cas où ces répétitions prennent un caractère stéréotypé, elles ont la signification d’excitations réitérées, et sont indispensables, comme nous l’avons vu plus haut, pour le développement et l’affermissement du processus de la reproduction. Si, au contraire, elles présentent quelque chose de polymorphe et de divers, leur signification devient tout autre : l’expérience démontre que la stéréotypie dans les répétitions se rencontre très rarement, et que, dans la plupart des cas, chaque répétition nouvelle d’une opération de jeu se produit dans des conditions quelque peu modifiées (une autre

  1. Preyer, loc. cit., p. 205.