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Nous voulons parler du principe agressif, qui se manifeste dans les rixes des enfants entre eux. Tous les éducateurs, tous les parents savent jusqu’à quel point les enfants sont enclins à se battre entre eux, et comment ils n’en sont détournés que par l’immixtion d’autrui. L’opinion générale que les enfants sont innocents, dit Spencer, quoique juste, sans contredit, quant à la connaissance du bien et du mal, est complètement erronée, pour ce qui est des mauvais instincts : une demi-heure passée avec les enfants suffit pour s’en convaincre. Les garçons, laissés à eux-mêmes, comme dans les écoles publiques, se comportent entre eux avec beaucoup plus de cruauté que les adultes ; et, si on leur laissait cette liberté dès la plus tendre enfance, leur cruauté serait plus grande encore[1]. En observant les enfants à l’état d’irritation, et sur le point de se quereller, ou qui se battent déjà, il devient tout à fait évident que l’on est en présence de ce même instinct d’animosité, propre aux animaux, lequel a pour but l’agression d’un être vivant, et qui dans ses limites extrêmes tend à la destruction aveugle de tout ce qu’il trouve sur son chemin. L’instinct agressif est toujours accompagné d’un état émotionnel défini, qui s’appelle ordinairement la colère. On peut observer les premières traces de l’agressivité dans la première année de la vie, comme nous l’avons vu, en décrivant le visage courroucé d’enfants éplorés ; mais l’instinct agressif se développe décidément pendant la deuxième et la troisième année. À cette époque de la vie, la méchanceté originelle, bestiale, de l’enfant se manifeste parfois de la manière la plus évidente. Dès lors elle constitue un des attributs du nouvel être humain, lequel persiste parfois durant toute la vie. L’élément agressif est propre à l’homme à tel point, qu’il se manifeste parfois chez les gens qui se possèdent le mieux, et c’est la preuve la plus évidente que l’homme appartient à la série zoologique. Plusieurs actions, soit des individus, soit des masses, ou même des races entières, ont leur source dans cet élément. Cela devrait seul suffire pour rendre indispensable l’éducation des enfants au point de vue de la répression de la méchanceté innée. Le plan d’humanisation de l’être agressif est très compliqué. Il embrasse le développement des sentiments altruistiques, la culture de la volonté et, surtout, le développement intellectuel, qui est propre à subsister à la lutte musculaire — la lutte nerveuse, à la querelle — la discussion et à transformer ainsi peu à peu la marionnette anthropoïde en un être humain. Il s’agit évidemment de cet avenir, annoncé par le prophète de l’antiquité, qui a

  1. Spencer, Éducation intellectuelle, morale et physique. Chap. III.