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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

Un raisonnement constant et surtout une série de conceptions et de tensions anticipées de la volonté, sont les meilleurs préservatifs des affections, surtout, de celle de la peur. L’exemple suivant va éclaircir notre pensée. Lorsque j’envoyais mon enfant, âgé de trois à quatre ans, dans une pièce à demi-éclairée, en le priant de m’apporter telle ou telle chose [un encrier, un crayon,] j’ai pu me convaincre qu’il éprouvait aussi peu de peur que possible, si, on lui donnait un programme détaillé, celui-ci par exemple : « En entrant, dans ma chambre tu verras à ta droite une table à écrire, à gauche une armoire que tu dépasseras ; tu trouveras ensuite une autre armoire à gauche ; sur le rayon inférieur de celle-ci, tu prendras un livre et tu reviendras tranquillement, livre à la main. » En faisant l’enfant qui vient d’accomplir cette mission vous raconter les péripéties de son expédition, vous pouvez vous convaincre, par l’analyse de ses réponses, que l’esprit du petit héros a été préoccupé et on dirait dominé par des perceptions de distance et aussi par les tensions volitionnelles, qui lui avaient été nécessaires, pour s’orienter dans une pièce claire-obscure. Conformément à votre programme, le raisonnement de l’enfant, durant tout le temps qu’a exigé l’exécution de la commission, a travaillé activement et n’a laissé aucune place à la crainte : le raisonnement lucide, d’un côté, et les affections, d’un autre, se suppriment mutuellement dans tous les cas.

Certaines conditions générales ont une grande valeur pour le développement et l’affermissement de la volonté ; telles sont, par exemple, une quantité suffisante de mouvements et d’exercices du corps, la bonne humeur, et cette bonne disposition de l’esprit que procure à l’enfant le soutien moral des louanges, des témoignages de confiance en ses forces. Mais, ce qui contribue le plus au développement de la volonté de l’enfant, c’est le ton affirmatif et la persuasion exprimée par l’adulte, que telle ou telle action qu’il attend ou qu’il exige de l’enfant sera accomplie avec succès. Les rapports des adultes avec les enfants, ayant surtout ce caractère de soutien et d’encouragement, cette atmosphère morale affermit incontestablement la volonté de l’enfant. Ce sont ces conditions et ces principes que vise, probablement, la formule pédagogique de Quintilien : Lusus sit. Et rogetur et laudetur et non nunquam se scisse gaudeat[1]. Dans la vie de tous les enfants, sans exception, se manifeste plus ou moins un principe, qui est intimement lié aux instincts, et pour la répression duquel la volonté doit être rigoureusement exercée.

  1. Il est à remarquer que Locke exprime la même pensée et presque dans les mêmes termes, loc. cit., p. 187.