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Dr SIKORSKI . — l’évolution psychique de l’enfant

principe volitionnel dans le processus de l’attention ou de l’inhibition.

Enfin il y a aussi un grand intérêt théorique à observer ces actions et divertissements, où il ne s’agit évidemment pas de la coordination des mouvements, ni de la résolution de quelques problèmes concrets moteurs, mais exclusivement d’un simple tentions générale des muscles, tension en même temps très considérable, et de l’apparition de la force brute. On sait que les enfants aiment à remuer, à transporter des objets lourds ; on connaît le plaisir que leur procure la participation avec les adultes au transport des meubles et des objets pesants. Les impulsions de la volonté, dirigées du côté de cette force grossière, où l’on n’a besoin ni d’une coordination subtile, ni d’un changement de tension, plaisent beaucoup aux enfants. Ces mouvements sont certainement plus développés chez les garçons que chez les filles. Dans la plus tendre enfance, à l’âge d’un à deux ans, ils servent de premier anneau, de premier degré dans la transition des mouvements impulsifs, c’est-à-dire non coordonnés, aux mouvements combinés, dépendant de la volonté. Ils sont très utiles en ce sens qu’ils constituent un des stades du développement de la volonté.

La caractéristique la plus intéressante, peut-être, de la volonté enfantine est fournie par le fait de son extrême faiblesse ; la volonté ainsi que les convictions de l’enfant sont très fragiles. Quiconque a observé les enfants a pu constater ce fait ; mais, comme vérité scientifique, ce fait remarquable a été démontré pour la première fois par M. Preyer[1]. Il cite l’excellent exemple suivant. Si je dis, raconte-t-il, à mon garçon, âgé de deux ans et demi, catégoriquement, quoique sans aucun fondement, avec cette assurance qui ne souffre aucune contradiction à haute voix, mais sans l’effrayer : « Maintenant tu n’as plus faim, » — le plus souvent l’enfant pose sur la table la bouchée qu’il se disposait à avaler et il cesse de manger. Cette faiblesse de la volonté infantile, cette élasticité, cette plasticité de la sensation et du mouvement infantiles peuvent être utilisés avec le plus grand succès par l’éducateur. Il est très facile d’inspirer à l’enfant certaines idées et certain plan d’action ; il est facile de fortifier en lui la capacité de retenir les affections, de réprimer la sensation de la faim et de la douleur, de lui rappeler et de lui faire accomplir par l’imitation nos propres actes de volonté. Il est facile de comprendre que cette méthode d’éducation de la volonté n’a rien de commun avec le procédé, qui suppose l’action de l’enfant à la suite du motif extérieur qui contredit sa volonté. Ici, au contraire, il s’agit non de forcer la

  1. Preyer, loc. cit., p. 217.