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M. Preyer ne s’en plaint que trop justement, que l’immixtion de l’adulte et une sorte de dressement oppriment de véritables manifestations de la volonté et mettent fin aux mouvements, sans doute assez irréguliers, mais qui ont une grande signification pédagogique dans le développement de la volonté.

Dans les cas où l’on ne comprend pas le sens du jeu de l’enfant, il vaut mieux ne pas intervenir et laisser l’enfant à lui-même. Cela se rapporte surtout à l’intervention dans ses combinaisons. On remarque parfois que les mères et les bonnes, par leur secours, par leur attention et leur présence continuelles, privent l’enfant de liberté et d’indépendance, et par leur immixtion suppriment ses problèmes de mouvement à demi résolus, le privant ainsi de la jouissance des résultats, et, ce qui est encore pis, entravent les exercices rationnels, indépendants, dans les fonctions de la volonté et dans leur accomplissement. Je suis persuadé qu’il est très utile de laisser l’enfant tout seul sur le plancher (convenablement vêtu ou bien sur un tapis), et, après lui avoir donné des joujoux, de rester dans une observation parfaitement neutre. Il est remarquable que déjà Ruffus d’Ephèse donne un semblable conseil[1].

En observant les jeux enfantins, on arrive aussi à cette conviction que plusieurs actions des enfants ont exclusivement pour but l’exercice de la faculté suppressive de la volonté, ou l’arrêt du mouvement existant. C’est ce que montrent, par exemple, diverses poses immobiles que l’enfant prend devant la glace, et où celle-ci lui sert à contrôler son immobilité. La brusquerie avec laquelle il met fin à tous ses mouvements, en prenant une pose immobile, prouve qu’il s’agit précisément ici d’intérêts et de problèmes de suppression. C’est probablement la même signification qu’on peut attribuer à cette habitude favorite des enfants de se taire subitement, en prenant une pose immobile, comme le feraient des animaux à l’affût. On croirait à première vue qu’ils prêtent l’oreille à quelque chose ; mais il est facile de se convaincre qu’en réalité le désir de prêter l’oreille à quelque chose ou de fixer le regard sur un objet quelconque n’entre point dans le plan de ces divertissements. Il n’y a en réalité rien de semblable : tous ces actes portent le caractère de l’inhibition psychique. Mais ils prennent parfois l’air de l’attention, qui apparaît, à ce qu’il semble, comme un phénomène sans but, d’un caractère platonique, n’ayant aucune suite, ni aucun résultat immédiat. Tout l’ensemble de ces agissements permet de supposer que l’enfant écoute sa propre pensée. Le phénomène décrit n’est en réalité que l’exercice pur du

  1. Œuvres complètes d’Oribase, ed. Daremberg, F. III, p. 160, punct. 25.