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et un mécanisme inflexible. Nous accomplissons, en un mot, une destinée que nous avons choisie, ou plutôt que nous ne cessons pas de choisir pourquoi notre choix n’est-il pas meilleur, pourquoi préférons-nous librement le mal au bien, c’est ce qu’il faut, selon toute apparence, renoncer à comprendre. Expliquer, d’ailleurs, serait absoudre, et la psychologie ne doit pas expliquer ce que condamne la morale.

Nous avons sincèrement voulu servir, par cette étude, la cause du spiritualisme ; et c’est pour cela que nous n’avons pas craint de nous écarter du spiritualisme traditionnel sur une question de méthode, qui est, au fond, une question de doctrine. Comment savons-nous que l’esprit existe ? Mais d’abord qu’est-ce que l’esprit ou la pensée ? La pensée, dit-on, est un fait, et tout homme en a conscience. Soit, mais qu’entend-on au juste par ces mots ? Veut-on dire qu’elle est une modification de notre état subjectif, au même titre que l’action de sentir ou de percevoir ? Il faudrait alors qu’elle eût un contenu propre, qui la distinguât de nos autres modifications : mais il se trouve qu’elle n’en a pas d’autre que celui de la sensation et de la perception : d’où il semble résulter qu’elle n’en diffère pas, ou qu’elle en est tout au plus une sorte d’écho ou d’image. Nous prenons, pour expliquer la nature et établir l’existence de la pensée, un chemin plus long, mais plus sûr. Nous accordons à l’empirisme qu’il n’y a en nous, en dernière analyse, que des sensations et des perceptions : nous remarquons seulement, avec le sens commun, que ces sensations existent, que ces perceptions sont vraies et ne sont point un rêve. Nous ajoutons que cette vérité a besoin d’être prouvée, et ne peut l’être qu’a priori ; qu’elle ne peut être, en effet, que la conformité des choses à une idée, ou plutôt l’action et, pour ainsi dire, la vie d’une idée, qui pénètre les choses et se manifeste en elles. Nous essayons enfin de montrer que la forme la plus haute de cette vie doit être un acte de réflexion et d’affirmation de soi ; et c’est cette affirmation de la vérité idéale par elle-même qui est, selon nous, la pensée. La pensée est donc un fait, si l’on veut, mais elle n’est pas un fait empirique et donné, puisqu’elle consiste précisément à affirmer la valeur objective des données de l’expérience. Nous en avons conscience en même temps que de ses objets, mais nous ne pouvons l’en dégager qu’en reproduisant, par un travail de spéculation et de synthèse, le mouvement dialectique dont elle est le terme. C’est donc à tort que l’on a voulu appliquer à l’étude de la pensée des procédés qui ne conviennent qu’à celle de la conscience sensible, et une tentative de ce genre ne pouvait aboutir qu’à la négation de la pensée. La vraie science de l’esprit n’est pas la psychologie, mais la métaphysique.

J. Lachelier.