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première : car l’être concret est, sans doute, en lui-même, vrai et digne d’être ; mais qui peut décider qu’il est en effet, sinon une conscience distincte de lui, qui soit, en quelque sorte, témoin de sa vérité et juge de son droit à être ? Nous donnerons maintenant à la proposition « l’être est » sa forme développée « l’être est existant » ; et, après avoir reconnu la première idée de l’être dans l’attribut et la seconde dans le sujet, nous reconnaîtrons facilement la troisième dans la copule, qui affirme l’attribut du sujet et fait passer la proposition tout entière de la puissance à l’acte. Nous n’aurons pas non plus de peine à établir la valeur objective de cette troisième idée : car, si l’être concret nous a déjà paru plus vrai que l’être abstrait, combien n’est pas plus vrai encore celui en qui s’achève la vérité de l’un et de l’autre, et qui est la vérité et la lumière elle-même ? Rien, sans doute, n’oblige la pensée à s’élever jusqu’à la troisième idée de l’être : car la vérité des deux premières pourrait rester virtuelle et latente : on ne peut pas même dire qu’elle tende à dépasser l’être en soi, comme elle dépassé l’existence abstraite : car que lui reste-t-il à désirer au delà de l’être et de la vie ? Mais sa volonté véritable va plus loin que son désir et ne se repose que dans ce qui est supérieur à son être même, dans la pure action intellectuelle par laquelle elle le voit être et le fait être : la plus haute des idées naît d’un libre vouloir et n’est elle-même que liberté. Cette idée n’a pas, à proprement parler, d’image sensible : mais elle se réalise dans la pensée appliquée ou empirique, qui réfléchit sur la conscience sensible et affirme l’existence des éléments qui la constituent. La première forme de cette pensée est la réflexion individuelle, par laquelle chacun de nous affirme sa propre vie et sa propre durée, et s’en distingue en les affirmant. La seconde est la perception réfléchie, par laquelle nous transportons hors de nous les objets étendus, en ajoutant aux deux dimensions de l’étendue visible celle qui n’est que l’affirmation figurée de l’existence, la profondeur. L’idée des idées, la liberté, réfléchit à son tour sur la réflexion individuelle et sur l’étendue à trois dimensions, et devient ainsi la connaissance rationnelle ou philosophique de nous-mêmes et du monde. Étendue à trois dimensions, réflexion individuelle et raison, tels sont les éléments d’une troisième conscience, que nous avons déjà appelée intellectuelle, et qui est encore plus vraie que les deux précédentes, puisqu’elle est précisément la conscience et l’affirmation de leur vérité. Cette troisième conscience est aussi la dernière : le progrès de la pensée s’arrête, lorsqu’après s’être cherchée dans la nécessité, comme dans son ombre, puis dans la volonté, comme dans son corps, elle s’est enfin trouvée elle-même dans la liberté : il n’y a pas plus de