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J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

quel droit l’être se pose-t-il ainsi en lui-même ? Précisément parce qu’il est l’être en soi ou ce qui est : car, si la simple notion de l’existence nous a paru avoir une valeur objective, combien l’être qui existe, et qui est le fondement de cette notion, n’est il pas plus vrai et plus digne d’être ? Il n’y a point toutefois ici de nécessité logique, et rien n’oblige la pensée à passer de l’existence abstraite, qui est sa propre forme, au sujet existant, qui donne à cette forme un contenu distinct d’elle. Mais la pensée tend par elle-même à dépasser la sphère de l’abstraction et du vide : elle pose spontanément l’être concret, afin de devenir elle-même, en le posant, pensée concrète et vivante. La première idée de l’être était à la fois le produit et l’expression d’une nécessité : la seconde se produit en se voulant elle-même et n’est elle-même que volonté. Que peut-il y avoir maintenant en nous qui réalise la seconde idée de l’être, comme le temps et la ligne nous ont paru réaliser la première ? À l’être concret, qui n’est plus extérieur, mais intérieur à lui-même, qui n’est plus la forme vide, mais le contenu positif de l’être, doit correspondre un mode de la conscience qui n’ait plus rien d’extensif, mais qui ait, en revanche, une intensité : et ce mode est la sensation. Mais la sensation, quoique simple, peut toujours être considérée comme composée d’autres sensations de plus en plus faibles : elle contient donc virtuellement une diversité simultanée, et cette diversité est figurée à son tour dans la conscience par l’étendue à deux dimensions, ou la surface. Enfin ces deux nouveaux éléments de la conscience sensible réagissent, comme les deux premiers, sur l’idée qu’ils réalisent : et ce qui n’était en soi que volonté d’être devient, en s’appliquant à la sensation et à l’étendue visible, volonté de vivre, désir ou finalité. Nous achevons ainsi de reconstruire la conscience vivante, telle que l’analyse nous l’avait déjà donnée ; et nous savons maintenant qu’elle n’a pas moins de valeur objective que la conscience abstraite et mécanique que nous avons construite avant elle. La finalité est, au contraire, plus vraie que la causalité, la sensation, que le temps vide et la surface, que la ligne, parce que toutes trois correspondent à une forme plus haute et, pour ainsi dire, à une seconde puissance de l’idée de l’être.

Cette seconde puissance n’est pas la dernière. Être, au sens positif de ce mot, être nature ou essence, est plus qu’être seulement la notion abstraite et la nécessité logique de l’être : mais, ce qui est plus encore, c’est d’être supérieur à toute nature et affranchi de toute essence, de n’être, pour ainsi parler, que soi, c’est-à-dire pure conscience et pure affirmation de soi. Cette troisième idée de l’être n’est pas moins nécessaire à la seconde que celle-ci ne l’est à la