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J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

mêmes, en tant que sujet intellectuel, une dialectique vivante ? Ne craignons pas de suspendre, en quelque sorte, la pensée dans le vide : car elle ne peut reposer que sur elle-même et tout le reste ne peut reposer que sur elle : le dernier point d’appui de toute vérité et de toute existence, c’est la spontanéité absolue de l’esprit.

Nous avons suivi jusqu’ici, dans l’étude de la conscience intellectuelle, la méthode d’analyse recommandée par M. Cousin : et le résultat de notre étude est précisément que ce qu’il y a de plus intime dans cette conscience ne peut pas être l’objet d’une analyse. La pensée dans son application à la conscience sensible est un fait, que nous avons considéré comme donné, et que nous avons cherché à résoudre dans ses éléments : le dernier de ces éléments, ou la pensée pure, est une idée qui se produit elle-même, et que nous ne pouvons connaître selon sa véritable nature qu’en la reproduisant par un procédé de construction a priori ou de synthèse. Ce passage de l’analyse à la synthèse est en même temps le passage de la psychologie à la métaphysique.

Essayons donc de montrer comment l’idée de l’être ou de la vérité se produit logiquement elle-même. Supposons que nous ne sachions pas encore si cette idée existe : nous savons du moins, dans cette hypothèse, qu’il est vrai, ou qu’elle existe, ou qu’elle n’existe pas. Quelque chose est donc déjà pensé par nous comme vrai et comme existant : mais, dire que quelque chose est pensé comme existant, c’est dire qu’il y a une idée de l’être, et dire que quelque chose est pensé comme vrai, c’est dire qu’il y a une idée de la vérité. Ainsi l’idée de l’être, considérée comme contenu de la pensée, a pour antécédent et pour garantie l’idée de l’être, considérée comme forme de cette même pensée. Dira-t-on que l’idée de l’être, considérée comme forme de la pensée, aurait elle-même besoin d’être garantie par une forme antérieure ? Soit, et c’est précisément ce qui a lieu : car cette idée, dont l’existence est maintenant en question, descend par cela même au rang d’objet et de contenu de la pensée ; et ce nouveau contenu trouve aussitôt sa garantie dans une nouvelle forme, puisque, soit qu’il existe, soit qu’il n’existe pas, il est vrai, encore une fois, qu’il existe ou qu’il n’existe pas. L’idée de l’être se déduit donc d’elle-même, non pas une fois, mais autant de fois que l’on veut, ou à l’infini : elle se produit donc et se garantit absolument elle-même. L’être est, pourrions-nous dire encore, mais en allant dans cette proposition, contrairement à l’interprétation ordinaire, de l’attribut au sujet : car la pensée commence par poser sa propre forme, c’est-à-dire l’être comme attribut : mais un attribut peut toujours être pris pour sujet de lui-même et, à tout ce qui est, fût-ce au non-être, nous