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affirmer la vérité d’une chose présente ou passée ; et, si nous refusons l’existence aux événements du rêve, quoiqu’ils nous frappent quelquefois aussi vivement que ceux de la veille, c’est parce qu’ils ne s’expliquent, ni par notre vie antérieure, ni même, le plus souvent, les uns par les autres. Ainsi ce que nous appelons vérité ou existence se distingue des données de la conscience sensible, non comme un fait se distingue d’un autre, mais comme le droit, en général, se distingue du fait : ce qui est, pour nous, ce n’est pas ce que nous sentons et ce que nous percevons, c’est encore moins quelque chose d’extérieur à nos sensations et à nos perceptions, c’est ce que nous devons, en vertu des lois de la nature et de la conscience, percevoir et sentir. Mais comment savons-nous que nous devons sentir ou percevoir une chose plutôt qu’une autre ? Pourquoi telle succession d’événements nous semble-t-elle légitime et, par conséquent, vraie, tandis que telle autre nous paraît illégitime et, par conséquent, fausse ? L’expérience peut bien nous apprendre que certaines successions se reproduisent plus fréquemment que d’autres et établir ainsi, entre la veille et le rêve, une distinction de fait : mais elle ne peut pas nous répondre que la veille ne soit pas elle-même un autre rêve, mieux suivi et plus durable : elle ne peut pas convertir le fait en droit, puisqu’elle ne se compose que de faits et qu’il n’y a aucun de ces faits qui porte en lui-même, plutôt que tous les autres, le caractère du droit. Il faut donc que la conscience intellectuelle tire d’elle-même la lumière qui ne peut pas jaillir de la conscience sensible : il faut qu’il y ait en nous, avant toute expérience, une idée de ce qui doit être, un être idéal, comme le voulait Platon, qui soit pour nous le type et la mesure de l’être réel. C’est cette idée qui est, et qui seule peut être le sujet de la connaissance : car elle n’est point une chose, mais la vérité a priori de toutes choses, et la connaissance n’est que la conscience que cette vérité idéale prend d’elle-même, en se reconnaissant dans les choses qui la réalisent. Maintenant comment cette idée existe-t-elle en nous ? Est-elle, comme les idées innées du spiritualisme vulgaire, un « fait rationnel », une donnée inexplicable de la conscience intellectuelle ? S’il en était ainsi, elle ne serait, sous le nom d’idée, qu’une chose d’un nouveau genre : elle serait peut-être le premier objet de la pensée, mais elle n’en serait pas encore le sujet, et elle aurait à justifier de sa vérité devant une idée antérieure, avant de s’ériger en criterium de la vérité des choses sensibles. L’idée qui doit nous servir à juger de tout ce qui nous est donné ne peut pas nous être elle-même donnée : que reste-t-il, sinon qu’elle se produise elle-même en nous, qu’elle soit et que nous soyons nous-