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J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

existe en lui-même, qui existait avant notre perception et qui continuera d’exister après que nous aurons cessé de le percevoir. La pensée n’est donc pas moins distincte de la perception qu’elle ne l’est de la sensation et de la volonté : ce n’est pas le rêve qui se change lui-même en veille, ce n’est pas la représentation sensible qui s’investit elle-même d’une existence absolue et qui investit son objet d’une existence indépendante de la sienne. Il y a donc réellement en nous une conscience intellectuelle, qui n’ajoute rien au contenu de la conscience sensible, mais qui imprime à ce contenu le sceau de l’objectivité : il faut seulement reconnaître que cette seconde conscience nes’éveille qu’à la suite de la perception et que ce n’est que par la perception qu’elle communique avec la première : c’est en nous représentant l’étendue que nous sortons de nous-mêmes pour entrer dans l’absolu de la pensée.

Dira-t-on que cet absolu est une illusion, que l’idée de l’existence n’est que l’image confuse de ce qu’il y a de plus général dans nos perceptions, et que cette image, en s’associant à une perception donnée, ne constitue toujours qu’un état momentané de notre conscience individuelle ? Que l’on arrache donc de l’esprit de tous les hommes la croyance à la réalité du monde extérieur, qu’on les empêche d’attribuer à leurs propres états de conscience une vérité intrinsèque, qu’ils conserveront dans le passé et qu’ils possédaient d’avance dans l’avenir ! Or, si le monde sensible apparaît à tous les hommes comme une réalité indépendante de leur perception, ce n’est pas sans doute parce qu’il est une chose en soi, extérieure à toute conscience : c’est donc parce qu’il est l’objet d’une conscience intellectuelle qui l’affranchit, en le pensant, de la subjectivité de la conscience sensible. Si tous les hommes croient que leurs états internes sont quelque chose en eux-mêmes, et non seulement dans le présent, mais encore dans le passé et dans l’avenir, ce n’est pas parce que ces états résident dans une entité chimérique, et dont l’existence, si elle en avait une, serait elle-même limitée au présent : c’est donc parce qu’ils sont l’objet d’une pensée qui, élevée au-dessus de tous les temps, les voit également dans ce qu’ils sont, dans ce qu’ils ont été et dans ce qu’ils doivent être. Si la pensée est une illusion, il faut supprimer toutes les sciences : car il n’y en a aucune qui ne parle de ce que les choses sont en elles-mêmes, en dehors de toute perception actuelle et, par conséquent, de tout temps, qui ne soit une science de l’éternel et qui ne soit éternelle elle-même, abstraction faite, bien entendu, des erreurs qu’elle peut contenir. Il faut supprimer même la psychologie empirique car le psychologue qui m’assure que je n’ai conscience que