Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/505

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
501
J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

avons aussi montré qu’elle a es lois propres et distinctes de celles du monde extérieur. Ces dernières, en effet, ne règlent par elles-mêmes que l’ordre de nos perceptions : il est vrai que nos perceptions déterminent la forme particulière que prennent, à chaque instant de notre vie, nos affections et nos tendances, de sorte que ces lois se trouvent expliquer, directement ou indirectement, l’ordre de tous les phénomènes de conscience. Mais, ce qu’elles n’expliquent pas, c’est précisément l’influence que nos perceptions exercent sur nos sentiments et, par nos sentiments, sur notre volonté ; c’est encore moins l’influence inverse, et non moins constante, de notre volonté sur nos sentiments et nos perceptions. Nous voyons, par exemple, un objet extérieur, et aussitôt nous éprouvons un sentiment agréable, auquel répond, du fond de nous-mêmes, un désir ; un besoin se manifeste à nous par un malaise, et en même temps il évoque son objet dans notre imagination, et tend, par l’intermédiaire de notre force motrice, à le faire apparaître dans la réalité. La conscience est donc soumise à l’action, en quelque sorte, croisée de deux sortes de lois, dont les unes déterminent la succession de ses états, tandis que les autres expriment l’influence réciproque de ses facultés. Les premières sont bien, comme le veut l’empirisme, celles de la physiologie et de la physique : mais les secondes appartiennent en propre à la psychologie.

Nous croyons aussi avoir répondu d’avance aux négations trop absolues de l’empirisme sur la double question du moi et de la liberté. Sans doute le moi serait un mot vide de sens, si la conscience n’était qu’étendue ou perception de l’étendue : mais il n’y aurait rien non plus, dans cette hypothèse, qui méritât le nom de conscience. La conscience est essentiellement l’opposition d’un sujet ou d’un moi au monde extérieur ; et c’est ce sujet que nous avons cherché tour à tour dans la qualité sensible et dans l’affection, pour le trouver enfin dans la volonté. On nous dira peut-être que nous ne nous sommes trouvés que pour nous perdre ; et il faut avouer qu’il nous est difficile de nous reconnaître dans une volonté dont nous avons à peine conscience, et qui déborde peut-être même notre existence individuelle. Ce n’est donc pas la volonté, considérée en elle-même, qui est pour nous le moi : c’est la volonté, en tant qu’elle se réfléchit dans cet état affectif fondamental dont la forme, propre à chacun de nous, exprime notre tempérament et constitue notre caractère. Ce moi, encore caché au fond de la conscience, se réfléchit à son tour dans nos modes affectifs et perceptifs ; et ce n’est, en définitive, que dans ces modes que nous le saisissons et que nous le reconnaissons comme identique d’une époque de notre vie à une autre. Notre moi