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lui-même : mais il ne peut être, dans ce dernier cas, que la volonté fixe d’un état fixe, que l’on n’ose plus nommer une affection. La volonté est le principe et le fond caché de tout ce qui est : beaucoup d’êtres la redoublent, en quelque sorte, et la révèlent à elle-même dans leurs modes affectifs ; quelques-uns détachent à demi de ces modes les qualités sensibles et les voient flotter devant eux comme une sorte de rêve ; un seul les fixe dans l’étendue et en compose ce mirage permanent qu’il appelle le monde extérieur.

Nous avons donc deux fois établi l’originalité de la conscience, puisque nous avons fait voir qu’elle ne se résout, ni dans une étendue extérieure à elle, ni dans sa propre représentation de l’étendue. Mais, en énumérant les éléments qui précèdent en nous cette représentation, n’avons-nous pas fait revivre la distinction, effacée par l’empirisme, de ce qu’on appelle nos facultés ? On ne dira pas que c’est faute d’analyser les données de la conscience que nous rangeons sous des titres différents des faits qui sont, au fond, de même nature : car c’est précisément l’analyse qui, dans la perception de l’étendue, nous a fait découvrir la sensation visuelle ou tactile, dans la sensation, l’affection, et dans l’affection, la tendance. On ne dira pas non plus que nous concluons à tort, de faits passagers, à des pouvoirs durables : car il y a dans les faits même que nous venons d’énumérer quelque chose de durable, qui répond à l’idée que l’on se fait ordinairement d’une faculté. Nous ne cessons pas, par exemple, de percevoir l’étendue, et c’est une seule et même étendue que nous percevons, tantôt sous une figure, tantôt sous une autre mais cette perception est purement virtuelle en elle-même et ne devient actuelle que dans nos perceptions particulières : elle est donc en nous une véritable puissance ou faculté de percevoir. Si deux sensations aussi différentes que celle du rouge et du bleu nous paraissent cependant de même espèce, c’est parce qu’elles se détachent, en quelque sorte, sur un même mode affectif, qui est la vie propre de l’œil ou la vision elle-même ; et, si toutes nos sensations, de quelque espèce qu’elles soient, nous semblent être également des sensations, n’est-ce pas parce qu’elles reposent toutes sur un mode affectif fondamental, qui est notre vie dans son unité ou notre faculté générale de sentir ? Il en est, enfin, de nos désirs comme de nos sensations : tous ceux que nous rangeons dans la même classe ont leur racine dans une tendance commune, et toutes ces tendances se résolvent à leur tour dans une tendance unique, que nous pouvons appeler indifféremment notre volonté radicale ou notre faculté de vouloir. Mais ce n’est pas tout : en montrant, comme nous l’avons fait, que la conscience renferme des éléments hétérogènes et irréductibles, nous