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J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

se réfléchit en elle. La tendance ne nous est donnée que par l’affection, et le besoin, dès qu’il s’éveille, prend pour nous la forme d’un malaise : mais nous la sentons, pour ainsi dire, à l’œuvre, dans le mouvement continu qui transforme peu à peu ce malaise en souffrance, et qui fait naître, de cette souffrance elle-même, la jouissance qui accompagne la satisfaction du besoin et le bien-être qui la suit. Nous sentons aussi confusément, et l’on pourrait peut-être montrer, par une analyse psychologique et physiologique à la fois, que nos diverses tendances ne sont que différentes formes d’une tendance unique, que l’on a justement nommée la volonté de vivre. Nous sommes donc volonté avant d’être sensation ; et, si la volonté n’est pas, comme la sensation, une donnée directe et distincte de la conscience, n’est-ce pas parce qu’elle est la condition première de toute donnée et, en quelque façon, la conscience elle-même ? Il faut bien, en effet, qu’il y ait en nous un dernier élément, qui soit sujet de tout le reste et qui ne soit plus lui-même objet pour un autre ; et, de ce que nous ne nous voyons pas vouloir, nous devons conclure, non que notre vouloir n’est rien, mais qu’il est nous-mêmes. L’étendue, loin d’être la conscience tout entière, n’en est que la limite et la négation : la sensation, sous la double forme de la qualité sensible et de l’affection, en occupe tout le champ et en constitue toute la réalité visible : mais cette réalité a elle-même son centre et sa racine dans la volonté.

Ce n’est donc pas de la perception à la volonté, c’est au contraire de la volonté à la perception que se succèdent, dans leur ordre de dépendance, et probablement aussi de développement historique, les éléments de la conscience. L’univers indéfiniment étendu en Iongueur, largeur et profondeur n’existe que pour l’homme, nous devrions dire, pour l’homme éclairé par les découvertes de l’astronomie moderne. Les animaux, ou du moins les animaux supérieurs, sont pourvus des mêmes sens que nous : mais il est probable que ces sens les affectent beaucoup plus qu’ils ne les instruisent, et que ces affections elles-mêmes sont entièrement subordonnées à leurs affections organiques. Le monde du chien, a-t-on dit ingénieusement, n’est qu’un continuum d’odeurs : il faudrait ajouter que ce continuum ne se déroule devant lui qu’à mesure qu’il le parcourt, et ne se compose que des odeurs qui mettent en jeu ses appétits. Le végétal n’a pas de sens extérieurs et rien d’extérieur ne peut exister pour lui : il n’y a donc place dans sa conscience que pour les affections obscures qui expriment sans doute en lui la lente évolution des tendances nutritives et reproductives. On peut douter si le minéral n’est qu’un objet pour nos sens, ou s’il est, en outre, un sujet en