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ton vital, soit dans les organes digestifs, soit dans les organes respiratoires. Les affections de l’ouïe et de la vue sont essentiellement solidaires de celles des organes sexuels : elles ne servent, chez la plupart des animaux, qu’à les réveiller, et celles-ci à leur tour exercent sur elles, même chez l’homme, un pouvoir presque magique d’exaltation et de transfiguration. Les affections du tact sont toutes générales et vitales par elles-mêmes : il n’y en a aucune qui n’intéresse directement, soit l’instinct sexuel, soit cet autre instinct par lequel le corps vivant veille au maintien de son intégrité et se défend contre l’action destructive des corps étrangers. Nous sommes peut-être mieux en état maintenant de comprendre le double rôle de la sensation dans la conscience. Elle se partage, en quelque sorte, entre le sujet et l’objet : elle fait, par la qualité sensible, toute la réalité de l’objet, mais c’est par ce qu’il y a en elle d’affectif qu’elle appartient au sujet et que le sujet est donné à lui-même. C’est par opposition à nos affections, et surtout à nos affections organiques, que les choses sensibles nous paraissent hors de nous ; et c’est parce qu’elles sont liées à ces mêmes affections et plongent, en quelque sorte, leurs racines dans nos viscères, que nous pouvons dire qu’elles nous sont données, et qu’elles existent pour nous.

Nous avons épuisé l’analyse de la sensation : avons-nous épuisé celle de la conscience ? Nos sensations ou, ce qu’il y a de subjectif en elles, nos affections, sont-elles nous-mêmes ? Ne pouvons-nous pas nous sentir en elles et être cependant, en nous-mêmes, autres qu’elles ? Dire que nous jouissons d’un plaisir et que nous souffrons d’une douleur, n’est-ce pas avouer que nous sommes quelque chose de distinct de ce plaisir et de cette douleur ? Pouvons-nous concevoir le plaisir et la douleur comme des états, en quelque sorte, absolus et indépendants de l’action d’un sujet qui s’abandonne à l’un et qui lutte contre l’autre ? Ne sentons-nous pas, dans les affections que l’on appelle morales, que nous faisons nous-mêmes notre plaisir et notre douleur par notre amour ou notre haine ? D’où vient, enfin, notre effort pour nous approcher de ce qui nous plaît et nous éloigner de ce qui nous blesse, s’il n’y a pas en nous un principe d’action, une tendance primitive, que l’affection stimule, mais qu’elle ne crée pas ? On dit quelquefois que le plaisir n’est qu’une tendance qui se réalise et la douleur, une tendance arrêtée ou combattue. C’est peut-être trop dire et il y a, semble-t-il, dans le plaisir et dans la douleur, quelque chose d’absolument original, qui ne peut se résoudre dans aucun autre élément de la conscience. Mais ce qui est peut-être vrai, c’est que la conscience de chaque affection enveloppe, comme un antécédent nécessaire, celle d’une tendance qui la produit et qui