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J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

que la sensation projetée hors d’elle-même et devenue un objet pour elle-même.

Mais comment la sensation peut-elle être ainsi à la fois le sujet et l’objet de la conscience ? Il semble, d’après ce que nous en avons dit jusqu’ici, qu’elle ne puisse être pour nous qu’un objet. Nous ne sommes, ni la couleur, ni la résistance, ni aucune autre qualité sensible et comment des qualités sensibles pourraient-elles avoir conscience d’elles-mêmes et dire moi ? D’un autre côté, comment pourrions-nous dire moi sans nous sentir, ou nous sentir ailleurs que dans nos sensations ? Et n’est-il pas de l’essence de la sensation de se sentir elle-même et d’être, pour ainsi dire, donnée à elle-même ? C’est donc bien dans la sensation que nous devons chercher le sujet de la conscience : mais ce n’est pas dans la sensation en tant qu’elle remplit l’étendue et constitue les choses extérieures. Il faut donc que la sensation soit quelque chose de plus que la qualité sensible : il faut qu’il y ait en elle un second élément, qui ne se convertisse pas en objet, mais qui soit à la fois sujet de lui-même et de la qualité sensible. Or, autre chose est la distribution des couleurs dans le spectre, autre chose, l’impression que produit sur nous la lumière ; autre chose est l’échelle musicale des sons, autre chose, ce qui nous affecte dans les sons pris isolément, comme leur volume ou leur timbre. Les odeurs et les saveurs offrent à des sens exercés des différences qualitatives innombrables : cependant on les réduit à un petit nombre de classes fondées précisément sur leurs caractères affectifs, tels que leur suavité, leur âcreté ou leur fadeur. Le toucher a cela de particulier que la qualité sensible ne fait qu’un, en lui, avec l’affection : nous disons que les corps nous résistent et qu’ils sont chauds ou froids, mais le chaud, le froid, la pression même d’un corps étranger, dès qu’ils atteignent un certain degré d’intensité, ne sont plus pour nous que des douleurs. Mais, au dessous de ces sensations que l’on appelle externes, et dont se dégagent les qualités sensibles, il y a en nous tout un ordre de sensations dites internes, qui sont exclusivement affectives : ce sont celles que nous localisons plus ou moins vaguement dans notre propre corps, et qui se lient à l’accomplissement des fonctions de la vie végétative. De plus nos sensations externes tiennent de très près, par ce qu’il y a en elles d’affectif, à nos sensations internes elles les excitent, mais elles leur doivent elles-mêmes la plus grande partie de leur vivacité : il semble même qu’elles en dérivent et qu’elles n’en soient qu’une forme secondaire, à la fois moins profonde et plus distincte. On a dit du goût qu’il n’était que l’avant-goût de l’estomac ; les plaisirs de l’odorat correspondent toujours à une élévation du