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J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

en elles-mêmes ne sont point les éléments de l’étendue et n’ont rien de commun avec elle. On s’enferme d’ailleurs dans un cercle, quand on fait résulter l’étendue d’unités juxtaposées : car ces unités ne peuvent être juxtaposées ou situées d’une façon quelconque que dans une étendue : nous ne pourrions pas même dire qu’elles sont plusieurs et qu’elles forment un nombre, si l’étendue ne les reliait entre elles et ne conduisait, en quelque sorte, notre pensée de l’une à l’autre. L’étendue ne peut donc pas exister en elle-même, car elle n’a point de parties simples, et sa réalité, si elle en avait une, ne pourrait être que celle de ses parties simples. Elle n’existe que dans la conscience, car ce n’est que dans la conscience qu’elle peut être ce qu’elle est, un tout donné en lui-même avant ses parties, et que ses parties divisent, mais ne constituent pas.

La réalité de la conscience est donc hors de doute, puisque ce monde extérieur dans lequel on voudrait la résoudre ne peut au contraire exister qu’en elle. Ce n’est pas l’étendue qui devient en nous la perception ou l’idée d’elle-même : car il n’y a pas d’autre étendue possible qu’une étendue idéale ou perçue. Mais la perception de l’étendue est-elle la seule fonction réelle de la conscience ? La sensation et la volonté ne sont-elles, nous ne dirons plus, que des mouvements, mais, que des représentations de mouvements ? Faut-il nous contenter d’une sorte de matérialisme idéaliste, qui absorberait la conscience, non plus dans un monde réellement extérieur à elle, mais dans ce monde relativement extérieur qu’elle porte en elle-même ? Mais cette seconde forme du matérialisme soulève, comme la première, des questions qu’elle ne résout pas. Comment des états de conscience intensifs peuvent-ils naître de représentations purement extensives ? D’où vient, qu’au sein même de la conscience, le sujet se distingue de l’objet et distingue encore en lui ce qu’il produit de ce qu’il éprouve ? L’existence de l’objet, tel qu’il nous est donné intérieurement, est incontestable : mais il s’agit de savoir si cet objet nous est donné en lui-même et avant le sujet ; il s’agit de savoir si la conscience va, comme le veulent les matérialistes, de le perception à la volonté, ou si elle commence, au contraire, par la volonté, pour finir par la perception.

L’étendue peut-elle nous être donnée en elle-même et avant tout autre élément de la conscience ? Mais d’abord comment pourrions-nous dire qu’elle nous est donnée, si elle était à elle seule toute la conscience et s’il n’y avait rien en nous qui fût réellement distinct d’elle ? Que signifierait même le mot donnée, et à quel signe pourrions-nous reconnaître, dans cette étendue, un objet de perception ou de conscience, plutôt qu’une chose en soi ? Enfin l’étendue pour-