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bres ? Comment même, dans cette hypothèse, pourrions-nous savoir si un sentiment ou une volonté existe réellement en nous et distinguer un véritable fait de conscience d’une simple illusion du sens intime ? Nous n’avons, en effet, que deux moyens de nous assurer de la valeur objective d’un phénomène : l’accord de notre expérience avec celle des autres hommes et l’accord de ce phénomène lui-même avec les lois de la nature. Or il est évident que ce double criterium n’est pas applicable aux faits de conscience considérés en eux-mêmes : nous ne pouvons donc être certains de leur existence que s’ils nous sont donnés en même temps à titre de faits physiologiques et entrent, à ce titre, dans le tissu de l’expérience universelle. Un homme qui rêve croit éprouver des douleurs très vives, alors qu’il ressent tout au plus un léger malaise : il prend des résolutions bonnes ou mauvaises, qui ne lui sont certainement pas imputables et qui ne sont pas même un sûr indice de ses dispositions habituelles. Son rêve est donc faux et n’est qu’un rêve, en tant, du moins, qu’il est donné à sa conscience : car il est vrai, d’un autre côté, que cet homme rêve, et son rêve fait réellement partie de son histoire, en tant qu’il exprime à sa manière un état particulier de son organisme. Mais, s’il y avait en nous des faits de conscience qui ne fussent l’expression d’aucun état organique, il est clair que nous n’aurions plus aucune raison de leur attribuer une valeur objective : ce seraient, en quelque sorte, des rêves absolus, c’est-à-dire, qui n’auraient absolument aucune vérité, et qui n’existeraient pas même à titre de rêves. Il n’y a donc pas de phénomènes de conscience qui forment, comme on l’a cru, un monde distinct et détaché du monde extérieur : il n’y a en nous et nous ne sommes nous-mêmes qu’une série de phénomènes semblables à tous les autres, qui ont seulement le privilège de se réfléchir et de se redoubler dans une conscience. La psychologie n’a pas de domaine propre, pas même celui du rêve, ou du moins du rêve relatif et réel : elle n’est qu’une forme subjective et provisoire de la physiologie, qui n’est elle-même qu’une branche de la physique.

Ni raison, ni liberté, ni esprit : tel est aujourd’hui le dernier mot d’une science qui semble ne conserver que par habitude, et comme un souvenir du passé, le nom de psychologie.

III

Entre les affirmations de M. Cousin et les négations de ses adversaires, quel parti devons-nous prendre ? Les premières nous sem-