Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/494

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
490
revue philosophique

périence, l’hypothèse d’une liberté qui échappe à toute observation directe et qui, loin d’expliquer notre conduite, ne servirait qu’à la rendre inexplicable.

2o Avec la liberté disparaît la seule de nos facultés dont il fût possible, suivant M. Cousin, de constater directement l’existence : nous ne devons donc voir, dans ces prétendues facultés, que des propriétés hypothétiques, analogues à celles des autres êtres de la nature. Quant au nombre de ces propriétés, il est évident qu’il doit correspondre, non à celui des classes de faits qu’une observation superficielle peut distinguer en nous, mais à celui des éléments véritablement primitifs et irréductibles de la conscience. Or il y a deux vérités qui dominent toute cette question et dont l’école de M. Cousin a tenu trop peu de compte : l’une, c’est que la conscience est susceptible de degrés ; l’autre, c’est qu’un phénomène dans lequel la réflexion la plus attentive ne découvre aucune trace de composition peut cependant être composé d’autres phénomènes dont nous n’avons qu’une conscience confuse, ou qui échappent même à toute conscience proprement dite. C’est ainsi que la perception des distances résulte de certaines sensations très faibles des muscles de l’œil, associées à l’obscure réminiscence de certaines sensations des muscles locomoteurs ; c’est ainsi que des inclinations et des répugnances qui semblent instinctives s’expliquent par des impressions oubliées depuis longtemps, ou qui n’appartiennent pas même à notre passé individuel, mais seulement à celui de notre race. Nous devons donc rejeter comme prématurée toute classification de faits et, par suite, toute énumération de facultés qui n’est fondée que sur l’observation intérieure ; et nous pouvons déjà prévoir le moment où les états de conscience qui nous semblent aujourd’hui le plus différents ne seront plus à nos yeux que des manifestations plus ou moins complexes d’une propriété unique, celle d’avoir conscience ou de sentir. Si la psychologie de M. Cousin a échoué dans sa théorie des facultés, elle n’a pas été plus heureuse dans la recherche des lois du monde intérieur, ou plutôt elle n’a pas même essayé d’en établir sérieusement une seule. Nous pouvons bien, en effet, constater qu’un phénomène dont nous avons une conscience distincte est suivi d’un autre dont nous nous apercevons également : mais nous ne pouvons pas décider si le premier détermine le second par lui-même, ou en vertu de quelque phénomène inaperçu, qu’il enveloppe ou qui l’accompagne. On parle des lois de l’association des idées : mais ces prétendues lois portent que telle idée peut, et non qu’elle doit susciter en nous telle autre : et le véritable lien de nos pensées doit être cherché le plus souvent, non dans nos pensées elles-mêmes, mais dans