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J. LACHELIER. — psychologie et métaphysique

de la placer dans une région supérieure à celle des phénomènes et du déterminisme. Au reste les modernes défenseurs de la liberté empirique semblent eux-mêmes assez embarrassés de leur rôle : ils ne demandent pas mieux que de faire au déterminisme sa part, et croient la lui faire en disant que nous ne nous déterminons jamais sans motifs, bien que ce ne soient pas les motifs qui nous déterminent. Mais de deux choses l’une : ou nous nous déterminons toujours en faveur du motif qui nous paraît le plus fort, et les partisans du déterminisme n’en demandent pas davantage : ou nous faisons, entre les motifs eux-mêmes, un choix sans motif, et l’on revient par un détour à la doctrine de la liberté d’indifférence. Or nous ne disons pas que la liberté d’indifférence soit fausse et impossible en elle-même nous disons seulement qu’elle ne peut pas être constatée comme un fait de conscience, et qu’elle est fausse, par conséquent, aux yeux de la psychologie. Un acte de pure liberté serait, en effet, un acte indépendant de toute manière innée ou acquise de penser et de sentir il serait donc étranger à tout ce qui constitue notre caractère personnel et nous n’aurions aucune raison pour nous l’attribuer et nous en croire responsables. Mais il serait, de plus, insaisissable en lui-même, car il serait indéterminé et vide de toute matière : l’acte qui produirait en nous une détermination ne différerait pas intrinsèquement de celui qui aurait produit la détermination opposée ou d’un acte suspensif de toute détermination ; il ne différerait même pas de l’absence de tout acte et serait lui-même un pur néant aux yeux de la conscience. Nous n’avons, en réalité, conscience que d’une chose, c’est que notre conduite peut être déterminée, non seulement par des appétits, mais encore par des pensées : il est donc parfaitement vrai de dire que nous n’agissons pas comme les animaux et que les hommes sages et réfléchis agissent autrement que ceux qui s’abandonnent à leurs passions. Encore faut-il remarquer que des pensées qui ne répondraient en nous à aucun désir n’exerceraient aucune influence sur nos actions : car nous ne pouvons agir qu’en vue d’un bien et nous ne pouvons regarder comme un bien que ce qui est pour nous l’objet d’un désir. Il y a plus les pensées même qui nous représentent une conduite à tenir ne s’éveillent et ne s’ordonnent en nous que sous l’influence d’un désir, ou tout au moins d’un penchant : car notre esprit lui-même resterait inactif s’il n’était sollicité par l’attrait d’un bien, qu’il s’efforce de posséder en idée, en attendant que nous le possédions en réalité. C’est donc, en définitive, le désir qui est l’unique ressort de toute activité, et c’est toujours l’inclination dominante d’un homme qui finit par décider de sa conduite : nous devons donc rejeter, au nom de l’ex-