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en la confrontant avec lui, la connaissance qui le représente. En fait, l’objet commun de toutes nos pensées, c’est le monde des phénomènes ou de l’expérience : une pensée est vraie pour nous, quand elle est l’expression d’un événement réel ; elle est fausse, quand nous ne pouvons trouver dans le monde sensible aucune réalité à laquelle elle corresponde. Supposons donc, avec M. Cousin, que nous possédions certaines connaissances a priori : la valeur objective de ces connaissances ne pourra consister, comme celle de toutes les autres, que dans leur accord avec les phénomènes : seulement, tandis que nos connaissances se règlent ordinairement sur leurs objets, il faudra, si celles dont on parle sont véritablement a priori, que ce soient, au contraire, les phénomènes qui se règlent sur elles. C’est précisément ainsi que l’a entendu Kant, lorsqu’il a entrepris d’établir, et non, comme on l’a cru, de détruire la valeur objective des principes de notre entendement quant à ce qui est de savoir si ces principes correspondent à des vérités transcendantes, c’est une question qu’il est probablement inutile de poser, et qui dépasse, en tout cas, les limites de la psychologie.

5o Est-il même permis d’affirmer, au nom de l’observation intérieure, l’existence d’une classe particulière de connaissances a priori ? Ces connaissances, dans la psychologie de M. Cousin, sont de deux sortes : les unes, comme le « principe de substance » et le principe de cause », sont relatives à des choses en soi ; les autres, comme le principe d’induction, ont leur objet dans le monde des phénomènes. Or il nous semble que les premières, si elles existent réellement dans notre esprit, méritent le nom de croyances plutôt que celui de connaissances : il est possible, en effet, qu’elles correspondent à des objets, mais il nous est impossible de nous en assurer, puisque ces objets sont situés, par hypothèse, hors de la sphère de notre conscience. Un jugement comme le principe d’induction peut, au contraire, prétendre au titre de connaissance, car il ne tient qu’à nous de nous assurer que les choses se passent dans la nature conformément à ce principe : mais cette connaissance doit-elle être dite a priori ou a posteriori ? Admettez-vous, avec Kant, que l’esprit dicte des lois à la nature et qu’il suffit qu’un principe soit posé dans notre entendement pour que les phénomènes soient obligés de s’y conformer ? Dites alors, vous le pouvez, que le principe d’induction nous fait connaître a priori l’ordre qui règne dans l’univers : mais avouez du moins que l’influence que vous attribuez à ce principe sur la marche des choses n’est pas un objet d’observation psychologique. Admettez-vous, au contraire, que nous commençons par affirmer le principe d’induction au nom de la raison, et que nous