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procédé que les autres lois de la nature, c’est-à-dire en observant les faits et en remarquant ce qu’il y a de régulier dans leur succession. Nous rapportons, en général, les faits de conscience à certaines propriétés durables de notre être, que nous appelons facultés : mais, dans le cas particulier des « faits volontaires », nous saisissons directement la cause productrice en même temps que l’effet produit : nous avons conscience de notre volonté comme d’une puissance active, et c’est à l’image de cette puissance que nous nous représentons nos autres facultés.

3o Notre volonté est libre. Nous ne voulons jamais sans motifs, mais ce n’est pas le motif le plus puissant par lui-même qui entraîne notre volonté : c’est au contraire notre volonté qui, en se décidant pour l’un des motifs, lui donne la prépondérance sur les autres. Cette décision détermine en nous une nouvelle série d’états de conscience, mais elle n’est pas déterminée elle-même par l’état qui la précède : elle tire directement son origine de notre puissance absolue de vouloir. Nous avons conscience à la fois, et de notre volonté, et de notre décision, et de la liberté avec laquelle l’une procède de l’autre.

4o Non seulement notre volonté agit dans la production de nos actes libres, mais encore elle réagit incessamment, par l’attention, sur nos sentiments et nos pensées. D’un autre côté, elle est identique à elle-même, et nous avons conscience de son identité, pendant toute la durée de notre vie. Elle devient ainsi le centre fixe, le sujet durable auquel nous rapportons, à un titre ou à un autre, tous les modes de notre existence intérieure. Dans l’absolu et aux yeux de Dieu, nous sommes une substance, semblable aux autres substances de la nature : pour nous-mêmes et aux yeux de la conscience, nous sommes un sujet actif et libre, une personne, un moi.

5o Nous avons des connaissances qui ne dérivent pas exclusivement de l’expérience et qui sont dues, au moins en partie, à une faculté spéciale appelée raison. Tels sont les jugements par lesquels nous affirmons que tout phénomène suppose une cause et une substance : car l’idée de substance ne nous vient, ni des sens, ni de la conscience et, si la conscience nous apprend que nous sommes une cause, elle ne nous apprend pas qu’il y ait au monde d’autres causes que nous. Tel est encore le jugement par lequel nous affirmons que tous les phénomènes sont soumis à des lois : car, si l’expérience témoigne d’une certaine régularité dans le cours de la nature, la raison seule prononce que cette régularité s’étend à tous les phénomènes, sans exception possible, au moins dans le monde physique. Tous nos jugements rationnels, quel qu’en soit l’objet, sont universels et