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conscience avait une tout autre portée et pouvait nous ouvrir sur la nature des choses de tout autres perspectives que celle des phénomènes du monde extérieur. Là où Condillac n’avait vu qu’un genre de faits, la sensation, il en distingua trois, les « faits sensibles », les « faits volontaires » et les « faits rationnels » : et ces deux derniers genres de faits furent pour lui quelque chose de très différent que ce que les sciences d’observation entendent ordinairement par ce mot. Dans les « faits volontaires », il crut saisir la volonté libre, pouvoir permanent, condition et sujet de toute conscience, qui constitue en nous la personne ou le moi : dans les « faits rationnels », la conscience lui parut s’élever, en quelque sorte, au-dessus d’elle-même et s’identifier avec la raison ou la vérité absolue, telle qu’elle existe à la fois en Dieu et dans l’univers. Une fois parvenu à cette hauteur, rien n’empêchait M. Cousin de renouveler, ou même de dépasser les hardiesses de l’ancienne métaphysique : un instant, il crut avoir démontré, par la méthode de Condillac, la philosophie de Schelling : plus tard il se réduisit, sur les choses suprasensibles, à cet ensemble d’affirmations et de croyances que l’on est convenu de désigner par le nom de spiritualisme. Mais il y a deux points sur lesquels il n’a jamais varié et dans lesquels se résume toute sa pensée : nécessité de commencer l’étude de la philosophie par la psychologie, et possibilité de passer, par la théorie de la raison, de la psychologie à la métaphysique.

La science organisée par M. Cousin n’a pas cessé, après lui, d’être cultivée avec ardeur : mais des divergences notables se sont produites, entre ses disciples et d’autres philosophes contemporains, sur les limites, les procédés, et surtout les résultats de cette science. Par faits de conscience, M. Cousin entendait ceux dont nous avons, ou du moins dont nous pouvons avoir une conscience réfléchie, comme une pensée ou une volonté : on s’est demandé si la psychologie ne devait pas étendre ses recherches à tous les phénomènes qui modifient, à un titre et à un degré quelconque, l’état interne d’un être vivant. L’observation recommandée par M. Cousin était exclusivement le retour du sujet pensant sur lui-même : on a cru que l’observation extérieure et indirecte, aidée elle-même par l’étude des cas extrêmes et morbides, par la comparaison des races humaines et des espèces animales, permettrait, d’une part, de saisir des phénomènes qu’aucune réflexion n’aurait jamais pu atteindre, de l’autre, de donner à la psychologie le caractère de précision scientifique qui lui avait trop longtemps manqué. Enfin, contre la doctrine psychologique de M. Cousin, s’est élevée peu à peu une doctrine nouvelle, ou plutôt celle-là même qu’il avait abattue s’est