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inconscientes que conserve notre mémoire. L’inconscient contient donc tous nos souvenirs, tout ce que nous avons expérimenté, tout ce que nous nous sommes attribué. Or, nous pouvons, pendant la veille, faire parler un ennemi ou un ami et lui répondre, nous pouvons nous supposer accusé d’un crime, faire le réquisitoire et la défense, imaginer les délibérations des jurés, etc. Dans le sommeil, nous continuons de vivre ; car jamais les nerfs, et par conséquent le cerveau et les sens, ne sont dans un repos complet ; un certain nombre de représentations constituent alors pour le rêveur le monde qui lui paraît réel : toutes les autres représentations conservées par la mémoire demeurent inconscientes. Mais de cet inconscient peuvent surgir, comme dans la veille, un certain nombre de représentations absolument distinctes de celles qui sont présentes à la conscience du rêveur : l’opposition des deux groupes de représentations fait croire à une division du moi, quand il n’y a là, en réalité, qu’un phénomène analogue à ceux qui se produisent à chaque instant pendant la veille.

Quant aux songes du milieu du sommeil, ils ne pourraient avoir une importance exceptionnelle que si l’on répondait affirmativement à l’une des trois questions suivantes : Y a-t-il une âme qui puisse, sans les sens et par une pure intuition, acquérir des idées, juger et raisonner ? Y a-t-il une faculté de perception, indépendante des sens, qui, s’exerçant au moyen d’un organe interne, puisse nous donner des connaissances plus complètes que l’expérience commune ? Du Prel n’accepterait ni l’une ni l’autre de ces deux affirmations. Il ne reste donc que l’inconscient : S’il n’est que la négation du conscient, il est impossible d’attribuer aux songes, quels qu’ils soient, une valeur exceptionnelle. Si l’on revendique pour lui une valeur positive, si on le suppose actif, on pourra accorder aux songes une valeur supérieure à celle du savoir expérimental. Ce serait alors assurer la victoire d’un mysticisme obscur et sacrifier la science, non à la pure croyance, mais à la superstition. Et qu’on ne parle pas de croyance philosophique ; car on n’unit sous ces mots qu’une fausse croyance et qu’une fausse philosophie. Le monde du croyant a pour pôles la Providence et l’immortalité ; le monde du savant repose sur la causalité et la nécessité.

H. Spencer. — La Religion dans son passé et dans son avenir, traduction d’un chapitre des principes de sociologie.

Zoologie. — Sur la forme des ancêtres des animaux à vertèbres. — Trouver un intermédiaire entre les invertébrés et les vertébrés a été l’objet des recherches d’un certain nombre d’évolutionistes ; Kowalevsky, Hæckel, Gegenbaur, etc., ont proposé des solutions (Amphioxus, Ascidies) auxquelles les objections n’ont pas manqué. Le professeur Hubrecht, d’Utrecht, a entrepris récemment de chercher cette forme intermédiaire chez les filaires (Nemertina) Il croit trouver en eux l’origine de la corde dorsale et de l’hypophyse cérébrale. Certains points, surtout en ce qui concerne l’histoire de l’évolution, restent, de son aveu, encore obscurs ; il se propose surtout de provoquer de nou-