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P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

tions nécessaires de l’expérience, et que la légitimité de l’application de ce principe au cas qu’il considère, a précisément besoin d’une confirmation expérimentale. On doit encore faire observer au sujet du principe de l’égalité d’action et de réaction que la façon dont on l’entend comporte diverses hypothèses dont l’origine repose sans doute sur des considérations a priori, mais dont la nécessité ne peut aucunement être affirmée ; on admet en effet, que toute action à distance s’exerce entre deux éléments matériels, de telle façon qu’on puisse, par la pensée, réduire ces éléments à deux points, qu’alors la force soit dirigée suivant la droite qui les joint, et que sa direction (comme aussi sa valeur au reste), soit indépendante par suite des mouvements relatifs que peuvent avoir ces points matériels l’un par rapport à l’autre. Est-il nécessaire de faire remarquer que l’expérience seule peut prononcer sur le point de savoir si la conception de pareilles forces est suffisante pour expliquer l’ensemble des phénomènes de la nature ?

Ces remarques préliminaires nous permettront de mieux juger la valeur de la déduction a priori, tentée par Kant pour le principe d’égalité d’action et de réaction, sa troisième loi mécanique. Cette déduction repose sur les conceptions de Kant relatives à la phoronomie. Si l’on considère deux corps, qu’ils se repoussent ou s’attirent, chacun d’eux a un mouvement relatif par rapport à l’autre ; mais, comme mouvement absolu, il n’y a aucune raison suffisante pour en attribuer davantage à l’un qu’à l’autre. Si leurs masses sont égales, on doit donc admettre l’égalité entre l’action du premier sur le second, et ta réaction du second sur le premier ; on passe de là au cas des masses inégales, en remarquant que la quantité de mouvement doit se mesurer comme produit de la masse par la vitesse.

Cette réduction au mouvement absolu est un artifice qui masque le véritable caractère du rayonnement ; il apparaît plus clairement en passant aux conséquences. S’il n’y avait pas égalité entre l’action et la réaction, il s’ensuivrait que le centre de gravité du système des deux corps se déplacerait dans l’espace, et on devrait de même conclure pour le centre de gravité de l’univers à un mouvement absolu dans l’espace vide. C’est cette conclusion qui, aux yeux de Kant, offre contradiction.

Cette contradiction me paraît illusoire ; le centre de gravité d’un système est un point dont la position ne doit être considérée que par rapport soit au système en question, soit à un autre système auquel le premier est rapporté. Le centre de gravité de l’univers (infini) est un point idéal, tout autant que l’espace absolu est lui-même idéal, et son mouvement ou son repos, n’étant susceptibles