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par l’enfant soit une sonnette. Alors, en même temps que la prise de l’objet donne lieu à une sensation tactile, le bruit de la sonnette produit une irritation du nerf acoustique, laquelle amène une sensation de son suivie elle-même d’un mouvement réflexe plus ou moins large qui s’ajoute aux trois précédents. Si toute l’opération est fréquemment répétée, l’enfant apprend à reconnaître la sonnette à l’aspect et au son. Quand les actions réflexes de l’ouïe sur la langue commencent à prendre chez lui des formes déterminées, il donne un nom à la sonnette, il l’appelle dinn dinn. La même chose se renouvelle sans doute quand il apprend à désigner la sonnette par son véritable nom, car cette dénomination est tout aussi conventionnelle que dinn dinn. Mais voyez pourtant ce qui résulte de cela : une suite d’actions réflexes apprises conduit à la représentation très complète de l’objet, au savoir dans sa forme élémentaire. En effet, toute la science des objets extérieurs n’est autre chose que la représentation infiniment large de chacun d’eux, c’est-à-dire la somme de toutes les sensations qu’ils peuvent provoquer en nous dans toutes les conditions imaginables[1] ».

Plus loin, l’auteur revenant sur le rôle joué par l’acte réflexe dans le développement de l’esprit écrit plusieurs pages très intéressantes sur la nature et l’origine de la pensée, je cite de ce passage le premier paragraphe dans lequel il expose son idée principale :

« Maintenant, dit-il, je vais montrer au lecteur la première et la principal conséquence qu’a pour l’homme l’art d’arrêter le terme final de l’action réflexe. Le résultat se résume dans la possibilité de penser, de réfléchir, de raisonner. Qu’est-ce, en effet, que la réflexion ? c’est une suite de représentations d’idées, liées entre elles, suite qui existe à un moment donné dans la conscience et ne s’exprime par aucun fait extérieur descendant de ces actes psychiques. Mais, comme lecteur le sait déjà, il ne peut se produire aucun phénomène psychique dans la conscience sans une excitation sensitive venue du dehors. La pensée est donc soumise à cette loi, elle renferme donc le commencement et la continuation d’une action réflexe, la fin seule, le mouvement, semble faire défaut.

« La pensée est une action réflexe psychique réduite à ses deux premiers tiers[2]. »

Sur la volonté, sur la mémoire, sur bien d’autres questions de psychologie générale, le livre de M. Setchénoff abonde en considérations intéressantes et ingénieuses bien qu’hypothétiques parfois. La mémoire est expliquée par les lois de la physiologie, la conservation de l’impression : Entre l’impression réelle avec ses conséquences et le souvenir de cette impression, il n’y a, dans le fond, pas la moindre différence au point de vue de l’opération. C’est le même phénomène psycho-réflexe, avec le même contenu, seules les causes d’excitation sont différentes. Je vois un homme, parce que son image se dessine réellement

  1. P. 78, 79.
  2. P. 135.