Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/461

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
457
ANALYSES.th. fowler. Progressive Morality.

férence au premier de ces motifs antagonistes sur le second, devient l’objet du blâme ou, s’il réfléchit sur sa propre conduite, de la désapprobation de sa conscience. » Des exemples sont nécessaires pour l’intelligence de ce passage. Nous blâmons celui qui ne sait pas se priver pour ménager des ressources à sa vieillesse. C’est que les plaisirs immédiats qu’il se procure sont un bien inférieur à l’indépendence et à la dignité que lui assurerait sa prévoyance. Dans le cas contraire, sa conduite recevrait notre approbation et la sienne propre, parce qu’il aurait sacrifié à un bien plus grand un bien moindre, au double point de vue de la quantité et de la qualité. — S’il a une famille et qu’il s’impose pour elle des privations plus dures, l’approbation sera plus complète encore et plus éclatante, parce qu’ici le bien personnel est sacrifié ou bien d’autrui. — Qu’un citoyen, dans une élection, vote, par affection ou esprit de parti, pour le candidat le moins capable de remplir son mandat, il encourra nos reproches et ceux de sa conscience, parce qu’il aura refusé de sacrifier le moindre bien de quelques-uns, auxquels il est uni par des liens d’intérêt ou d’amitié, au bien plus grand du plus grand nombre. — Il est rare qu’on ait à accomplir un sacrifice en subordonnant dans sa conduite le bien des autres au sien propre ; cependant certains hommes sont poussés par une générosité naturelle à faire pour leurs amis des dépenses hors de proportion avec leur fortune, et le conflit est ici entre leurs sentiments altruistes, auxquels il s’agit de ne pas céder, et les sollicitations de l’intérêt personnel entendu dans un sens élevé. Celles-ci peuvent être moins fortes que ceux-là ; il peut en coûter de leur obéir, et, en ce cas, l’agent moral trouve dans l’approbation de sa conscience et dans celle de ses semblables la récompense de son sacrifice.

On a vu que le sentiment moral de plaisir ou de peine qui constitue la sanction suit immédiatement et nécessairement le jugement moral. Nos jugements moraux résultent d’un processus logique qui consiste à faire rentrer une action dans une classe d’actions semblables ou analogues. Mais d’où vient que ces actions elles-mêmes sont jugées déjà bonnes ou mauvaises ? Quelles considérations guident le jugement moral ? — C’est la question du criterium de la moralité.

Ce critérium, s’il existe, doit être extérieur au jugement lui-même, puisque celui-ci varie et ne s’applique pas toujours, à des époques différentes, aux mêmes actions. — Dans l’hypothèse d’une idée simple et innée du bien, tous les hommes devraient porter sur les mêmes actes des jugements identiques. D’autre part, s’il n’y a pas de critérium, ou, ce qui revient au même, s’il n’y a que des critères individuels, les jugements moraux du genre humain varieront arbitrairement selon les dispositions et le tempérament de chacun. Or l’expérience prouve que les variations ici ne sont pas arbitraires ; elles sont soumises à une loi de progrès. On en conclut qu’il y a un critérium de la conduite, et que « ce critérium est de telle nature que son application continuelle, consciente ou semi-consciente par les penseurs ou par le genre humain