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ANALYSES.th. fowler. Progressive Morality.

hérétiques au bûcher, et que ceux-ci marchaient au supplice. « Obéis à ta conscience » est une règle sûre de conduite, à la condition qu’elle soit précédée de celle-ci : « éclaire ou instruis ta conscience ». La conscience n’est donc plus cette faculté divine, cette « immortelle et céleste voix » qui rend des oracles. Conscience, sens moral, sont des termes vagues, qui prêtent à équivoque, et trahissent une analyse psychologique insuffisante.

Il reste pourtant que la sanction morale, approbation ou désapprobation intérieure, est supérieure à toutes les autres. « Si nous regardons une action comme mauvaise, que notre opinion soit fondée ou non, aucune considération extérieure, de quelque nature qu’elle soit, ne peut nous dédommager de la souffrance que nous éprouvons en agissant contrairement à nos convictions. La nature humaine, dans sa condition normale, est ainsi faite que le remords qui suit une mauvaise action compense et bien au delà les plaisirs que nous pouvons en retirer, et que la satisfaction avec laquelle nous contemplons une bonne action nous indemnise largement de toutes les peines qui en sont la conséquence. » (P. 33.) — Assertion difficilement contestable, pourvu qu’on soit d’accord sur ce qu’il s’agit d’entendre par la condition normale de la nature humaine. Il nous semble que c’est là plutôt un idéal. Même pour des consciences délicates, combien de sacrifices qui ne sont pas suffisamment payés par la joie intérieure d’avoir bien fait ! Que de remords, aigus a l’origine, se sont émoussés et laissent leur victime goûter en paix ses jouissances mal acquises, ou se réhabiliter à ses propres yeux soit par un prompt oubli de sa faute, soit par une indulgente expiation !

Quoi qu’il en soit, M. Fowler pense que la sanction morale (satisfaction intérieure ou remords) par cela même qu’elle implique des plaisirs et des peines plus intenses que les autres, doit seule fournir la règle de la conduite. Mais il est clair qu’une telle sanction suppose deux éléments, un élément intellectuel, un élément émotionnel. « Quand nous considérons nos propres actions ou celles des autres, la première chose que nous fassions, semble-t-il, c’est de les rapporter à quelque classe, ou de les associer à certaines actions analogues qui nous sont familières ; puis, quand leur caractère a été ainsi déterminé, elles excitent le sentiment d’approbation ou de désapprobation, d’estime ou de blâme. » Soit le cas du mensonge : une assertion est émise par un de nos semblables. Qu’a-t-il dit au juste ? En quel sens a-t-il employé les mots dont il s’est servi ? Quelle était son intention en les prononçant ? Autant de questions qu’il faut se poser avant de pouvoir affirmer qu’un homme a menti. C’est là proprement la part de l’intelligence dans ce que M. Fowler appelle la sanction morale. Si, à la suite de cette enquête, il est établi que l’assertion suspecte rentre bien dans la catégorie de celles que nous qualifions de mensonges, le sentiment de réprobation se produit : voilà l’élément émotionnel. Ce sentiment se manifeste avec la spontanéité de