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vernements. Pourtant l’auteur croit pouvoir indiquer quelques réformes qui lui semblent dès maintenant utiles et pratiques. Si on ne peut supprimer la rente foncière, on pourrait du moins en réserver le bénéfice à l’État, c’est à dire à tout le monde. Les villes pourraient racheter en tout ou en partie les terrains sur lesquels elles sont bâties, l’État agrandir son domaine. Cet ager publicus ne saurait être exploité par la communauté ; mais on le diviserait en parcelles qu’on donnerait en concession pour cent ou cent cinquante ans. Au bout de quelques générations la société rentrerait en possession de son bien dont la valeur se serait accrue et bénéficierait elle-même de la plus-value. Il y a, il est vrai, une autre rente contre laquelle l’État est plus désarmé, c’est celle du capital. Mais le mal ici s’amende de lui-même ; la rente mobilière tend de plus en plus à diminuer. Une meilleure assiette de l’impôt permettrait d’ailleurs de faire restituer à la nation la part de ces profits qui lui revient légitimement. Enfin l’État augmenterait aisément ses revenus en réglementant par une loi sévère les biens de main morte et en restreignant aux parents les plus proches l’hérédité naturelle en l’absence de testament.

Cette richesse collective pourrait « constituer un fonds d’assistance et d’assurance universelles, une sorte de lac Mœris qui, après avoir reçu le trop-plein, pourrait en cas de besoin fournir le nécessaire ». C’est qu’en effet, la charité est pour l’État un strict devoir de justice ; c’est une des clauses tacites du contrat social. La société ne peut exiger le respect des propriétés acquises que si elle assure à chacun quelque moyen d’existence. On objecte, il est vrai, que la philanthropie s’exerce en sens inverse de la sélection et en contrarie les effets salutaires. Elle protège, dit-on, les faibles et les incapables, leur permet de se perpétuer et abaisse ainsi peu à peu le niveau physique et moral de la race. Mais encore faut-il distinguer. Il ne peut être question de laisser mourir sans secours le travailleur qu’une maladie accidentelle prive de ses forces. C’est donc aux infirmes seulement que la société devrait refuser sa pitié. Or, ils sont bien peu nombreux, ne se marient guère, et, en tout cas, on pourrait mettre à leur mariage des obstacles légaux. La charité publique n’a donc pas de graves inconvénients ; en revanche elle offre de grands et sérieux avantages. Elle diminue entre les hommes les excès d’inégalité ; elle préserve souvent de la mort de précieuses intelligences ; enfin et surtout elle est une excellente éducatrice des âmes qu’elle ouvre à la sympathie et à la pitié.

II. — Mais la puissance matérielle n’est pas la seule dont la foule veuille avoir sa part. La puissance politique constitue une sorte de fonds social, dont il faut régler la répartition. Ce problème tend de plus en plus à recevoir partout une même solution. Partout la démocratie l’emporte, avec le suffrage universel qui distribue également entre tous ce capital collectif. Les nations sont entraînées par un large courant démocratique auquel il serait absurde de vouloir résister. D’ailleurs si on consent à ne pas faire du suffrage universel un dogme