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ANALYSES ET COMPTES RENDUS


Alfred Fouillée. La propriété sociale et la démocratie. 1 vol.  in-18, 292 pages. Hachette, 1884.

À travers toutes les révolutions de sa pensée, M. Fouillée reste fidèle à sa méthode de conciliation. Les contraires ont je ne sais quoi qui attire ce dialecticien raffiné dont le vivant esprit ne se trouve nulle part si parfaitement à l’aise qu’au milieu du conflit des systèmes. Là où nous n’apercevons que des doctrines contradictoires, entre lesquelles il faut résolument choisir, M. Fouillée ne voit que des opinions excessives, mais qui se complètent et même se supposent. C’est ainsi qu’il a successivement combiné dans une savante synthèse le déterminisme et la liberté, l’idéalisme et le réalisme, la morale de Rousseau et la sociologie moderne. Aujourd’hui c’est l’individualisme et le socialisme qu’il entreprend de réconcilier.

I. La propriété individuelle ne se recommande pas seulement par des raisons d’intérêt bien entendu ; elle a sa base rationnelle ; elle est la loi même de la vie. Chez l’individu il faut que la cellule vivante retrouve en nourriture la force qu’elle dépense en mouvements ; sinon elle s’épuise et meurt. De même il faut, sous peine de mort, que le travail de la cellule sociale lui soit tôt ou tard restitué, et sous une forme équivalente. Si donc il existe quelque part un objet qui ait été entièrement créé par un homme, il lui appartient tout entier ; voilà ce qu’on peut accorder à l’individualisme. Mais une propriété absolue, sans réserve et sans restriction, ne se trouve pas pour cela justifiée ; car, avec nos seules forces, nous ne pouvons rien créer. Nous ne produisons que des formes et tous nos efforts s’appliquent à une matière que nous fournit la nature. Ce fonds n’est pas notre œuvre ; pourquoi le détiendrions-nous à perpétuité ? On répond que les richesses naturelles sont sans valeur tant qu’elles ne sont pas fécondées par le travail humain. Mais que produirait le travail humain, s’il se consumait dans le vide ? D’ailleurs il est bien difficile d’admettre qu’une terre fertile n’ait ni plus ni moins de valeur qu’une terre stérile « un étang plein de poissons qu’un étang où le poisson ne peut vivre ». Et quand même cette thèse excessive serait démontrée, encore faudrait-il reconnaître que dans tout produit se trouve fixée, outre le travail individuel, une certaine quantité de travail social. On fait passer une grande voie devant ma