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revue générale. — histoire et philosophie religieuses.

quant aux néo-scolastiques, comme l’écrivain appelle, non sans une intention un peu dédaigneuse, les défenseurs contemporains du thomisme, ils sont sans doute fort peu conséquents avec eux-mêmes. Mais cette circonstance même, que l’Église ait accepté les principaux éléments de la philosophie d’Aristote et ait bâti à leur aide sa propre philosophie, n’est-elle pas la démonstration la plus éloquente qu’entre la civilisation ancienne et la nouvelle il n’y a jamais eu une complète rupture ? Aussi bien, les grands mots des néo-thomistes, brandissant les thèses du docteur angélique et menaçant d’écraser la science moderne sous leur poids, nous laissent calmes. Nous voyons parfaitement, preuve en soit l’abbé Bourquard et l’étude de ce théologien que nous avons jugée plus haut, qu’ils font à la raison humaine et à ses recherches une place assez large pour s’incliner devant toute démonstration devenue évidente. Nous n’en demandons pas davantage, nous inquiétant peu s’ils violent ou non des prémisses toutes théoriques. Quant à M. Justus et à ceux qui pensent comme lui, nous préserve le ciel de tomber en leurs mains ! Sous prétexte de rétablir la pureté du christianisme dans la philosophie, ils nous ramèneraient tout droit à l’ignorantisme. — Mais nous en parlons à notre aise, tandis que M. Justus lui-même doit payer à l’heure présente, les conséquences de sa témérité à l’endroit d’Aristote et de saint Thomas. Il apprendra bien vite à ses dépens que l’on ne gagne jamais rien à être plus royaliste que le roi[1].

Ainsi que nous l’apprennent les Notices biographiques sur le développement spirituel du philosophe Edmond von Hagen, depuis l’âge de zéro jour jusqu’à celui de trente-quatre ans (10 août 1850 au 10 août 1884), avec une modeste épigraphe ainsi conçue : « de la gloire à la gloire » ; ainsi, dis-je, que nous l’apprennent lesdites notes biographiques, imprimées sur un papier rose qui tire l’œil et encartées dans le volume dont le titre figure au sommaire, ce grand homme est né à Gieboldehausen en Hanovre ; — et ici je m’aperçois que l’épigraphe que je me suis permis de juger un peu risquée est excessivement spirituelle, parce que Gieboldehausen, patrie du grand homme, est située sur la rivière Ruhme ; or l’épigraphe dit : Von der Ruhme zum Ruhme. J’avais compris que cela signifiait de la gloire à la gloire, mais cela signifie aussi de la Ruhme à la gloire.

Jusqu’à douze ans, le jeune prodige « fut élevé dans la maison de son père ; il reçut l’enseignement tantôt par les soins de deux maîtres particuliers, tantôt à l’école populaire. » Passons et arrivons à l’année 1870 ! Plein de sympathie pour la Prusse, il brûlait de verser son sang pour elle : mais hélas ! il avait la vue trop courte et fut classé dans la « réserve de remplacement ». En attendant, il avait

  1. M. Justus, pour prouver qu’il a le droit d’en user librement avec l’Encyclique Æterni Patris, cite fort doctement le Concile de Trente. Le fait est que j’aime mieux, à l’heure présente, être à ma place qu’à la sienne.